Plusieurs secondes s'écoulèrent avant qu'un des deux ne prenne la parole.

" Salut, John " fit-elle timidement.

Il ne répondit pas tout de suite, incapable de détacher ses yeux d'elle. Elle avait tellement changé ! La dernière fois qu'il l'avait vue, elle était âgée de seize ans à peine. A présent, c'était une femme qui se tenait devait lui. Mais ce visage… il l'aurait reconnu entre mille… celui de sa sœur qu'il avait vue partir des années plus tôt…

" Sara… " répéta-t-il simplement, alors qu'il n'en croyait toujours pas ses yeux. Puis il s'approcha lentement d'elle et la prit dans ses bras. Il la garda longtemps serrée contre lui comme pour se convaincre qu'elle était bien là, que ce n'était pas un rêve. Quand il s'écarta d'elle, elle souriait et il la trouva très belle.

" Je suis contente de te voir " murmura-t-elle. " Je te présente Megan " ajouta-t-elle en prenant sa fille, jusque là assise sur le comptoir sous la surveillance d'Abby, dans ses bras. " Ma fille. "

Il tombait des nues. Non seulement il revoyait sa sœur pour la première fois depuis des années, mais en plus elle lui annonçait qu'elle était mère. " Susan, est-ce que tu… " demanda-t-il en se tournant vers son amie.

" Bien sûr John, tu n'as qu'à prendre une pause, je me charge de Weaver si elle pose des questions. "

" Tu est un ange " fit-il avec un sourire reconnaissant. Il prit ensuite Sara par le bras et les entraîna, elle et la petite Megan, hors de l'hôpital. Quelques instants plus tard, ils prenaient place à une table de Doc Magoo's. Un silence lourd plana sur eux quelques secondes avant qu'elle ne prenne la parole.

" Tu dois te demander ce que je fais ici… " fit-elle.

" Ca je m'en doute… A vrai dire je me demande plutôt pourquoi tu ne m'avais pas prévenue de ton retour… "

" Je voulais te faire une surprise… "

" Grand-mère était au courant ? "

Sara secoua doucement la tête. " J'en avais déjà parlé avec elle, mais elle n'était pas vraiment ravie à l'idée de me revoir… Tant pis pour elle. "

Il lui sourit puis son regard se posa sur la petite fille qui gazouillait toute seule sur les genoux de la jeune femme, jouant avec tout ce qui lui tombait sous la main. Elle devait avoir un peu moins d'une année, et il n'avait jamais su qu'il était oncle.

" J'aurais dû te parler de Meg " murmura Sara, mal à l'aise. " Ce n'était pas facile, on ne s'était pas parlé depuis si longtemps… "

" Elle a quelle âge ? "

" Elle aura une année le mois prochain… "

" Elle est très belle " fit-il avec un sourire tout en prenant la petite main de la fillette qui émit un petit rire cristallin.

" Est-ce que tu veux boire quelque chose ? " demanda-t-il après quelques secondes.

Elle secoua la tête. " Non merci, j'ai bu et mangé avant de venir ici. "

" Tu es passée au manoir ? "

" Oui, je ne savais pas où tu travaillais alors… "

" C'est vrai… et qu'est-ce que grand-mère a dit ? "

La jeune fille éclata de rire. " Que j'étais une enfant bornée qui n'en faisait qu'à sa tête ! Mais au fond je crois qu'elle devait quand même être contente de me voir… "

" Ca je n'en doute pas… " Il sourit et prit sa main dans la sienne. " Moi aussi je suis content de te voir… vraiment… "

***

Assise sur le lit de la chambre qu'elle avait occupée pendant des années avant son départ, Sara repensait à la journée qu'elle venait d'avoir. Revoir sa grand-mère, John, ses parents avait vraiment été plus éprouvant qu'elle ne l'avait imaginé. Bien sûr, ils étaient heureux de la revoir, mais ils faisaient tous preuve de réserve à son égard. Comme si après toutes ses années, elle ne faisait plus vraiment partie de la famille. Pourtant, elle ne s'en était pas allée de son plein gré, et c'était sa grand-mère qui l'avait convaincue de rester en Europe bien plus longtemps que les deux années qui avaient été prévues au départ. Ces deux premières années avaient d'ailleurs été particulièrement pénible. Elle vivait à Paris chez des amis de ses parents, suivait des cours aux Beaux-Arts mais n'aimait pas ce qu'elle faisait ni la vie qu'elle menait là-bas. C'est pourquoi elle avait déménagé en Suisse dès qu'elle avait eu dix-huit ans, un peu avant Noël deux ans après son arrivée. Elle souhaitait rester encore une année car elle voulait commencer des études de gestion. C'était en 1994. Ces parents étaient venus l'aider au déménagement et avaient passé les fêtes avec elle. Et puis une nouvelle année s'était écoulée, et elle n'était pas rentrée. Ni la suivante, ni celle d'après. Ensuite elle avait obtenu son diplôme, Megan était née, et l'envie de rentrer chez elle, de retrouver ses racines avait commencé à ce faire ressentir. Elle voulait élever sa fille dans un pays où elle pouvait se sentir pleinement chez elle. Mais à présent, elle redoutait d'avoir prit une mauvaise décision. Peut-être qu'après sept longues années - presque huit - elle n'était plus réellement chez elle ici. Elle avait le sentiment qu'on ne voulait pas vraiment d'elle, qu'elle était rejetée, considérée comme une étrangère. Tu te fais des idées, se dit-elle pour se rassurer. Il faut leur laisser le temps de s'habituer à ton retour, à la présence de Meg et au fait que je sois mère célibataire… Elle soupira. Les membres de sa famille, excepté son frère, étaient bourrés de principes et avaient relativement mal accueilli sa nouvelle situation. A leurs yeux, il n'était pas naturel qu'une jeune femme de vingt-trois ans élève seule son enfant et ils le lui avaient bien fait sentir.

" Je peux entrer ? " La voix de John la tira de sa réflexion.

" Bien sûr, mais ne fais pas trop de bruit, Meg s'est endormie… "

Il entra dans la pièce, referma la porte et vint s'asseoir à côté d'elle sur son lit.

" J'ai dû te sembler un peu froid… " commença-t-il.

" Ca ne fait rien, je m'y attendais un peu… "

" Ce n'est pas ce que tu crois… "

" Et qu'est-ce que je crois ? Que je revois ma famille pour la première fois depuis des années et que personne n'a l'air content de ma présence ? "

" Ce n'est pas ça… au contraire, tu nous as beaucoup manqué à tous, moi en premier… "

" Alors dans ce cas pourquoi est-ce que vous vous comportez comme si ce n'était pas le cas ? Ce n'est pas juste, John… "

" Essaie de comprendre… personne ne s'attendait à te revoir… avec un bébé en plus ! "

" Je n'allais pas laisse Meg toute seule en Suisse. " répondit la jeune femme, sarcastique.

" Ce n'est pas ce que je dis… Mais tu peux comprendre que les parents aient été surpris… "

" Ils n'étaient pas juste surpris… on aurait presque dit qu'ils avaient honte… "

Au même moment, éveillée par la discussion de sa mère et de son oncle, la petite Megan se mit à pleurer dans son lit. Sara se leva pour aller la chercher et la prit tendrement dans ses bras. Elle resta debout, sa fille appuyée contre sa poitrine et laissa son regard se perdre par la fenêtre.

" Et son père ? " demanda Carter après quelques minutes de silence. La jeune femme se retourna brusquement.

" Quoi son père ? "

" Je ne sais pas, qui est-ce, où est-il, sait-il que tu es ici… "

" Il s'en fiche. "

" Vraiment ? Si j'avais une fille quelque part je… "

" Mais tu n'es pas lui ! " Lorsqu'il vit la colère briller dans le regard de sa jeune sœur, John comprit qu'il avait abordé un point dont elle n'aimait pas parler. " Certainement que le très parfait John Carter n'aurait jamais laissé tomber la pauvre fille à qui il avait fait un gosse, mais il s'avère que dans ce cas précis il ne s'agit pas de toi ! "

Elle reposa Megan qui pleurait toujours dans son berceau et se détourna vers la fenêtre, les yeux brûlant de larmes et de colère. Il n'avait pas le droit de se mêler de ça, ça ne regardait qu'elle et elle seule. Elle avait bien assez souffert quand celui qu'elle croyait être l'homme de sa vie l'avait quittée en déclarant qu'elle ne pouvait même pas prouver que cet enfant était de lui. Elle n'avait pas besoin que John ne joue les moralisateurs. Il avait toujours été l'enfant parfait auquel ses parents la comparaient sans cesse. Même s'ils s'étaient toujours bien entendu et avaient toujours été proches, il n'avait sans doute jamais eu idée à quel point cela avait pu être parfois difficile d'être toujours celle qui faisait tout moins bien que lui.

Il se leva à son tour et s'éloigna en direction de la porte. " Il faut que j'y aille… " murmura-t-il. " Je dois passer prendre une amie pour aller au cinéma… "

Lorsqu'il quitta la pièce, elle ne se retourna pas. Elle ne voulait pas qu'il voit les larmes qui s'écoulaient sur son visage, laissant un goût salé sur ses lèvres. Elle sentit toutes ses forces l'abandonner d'un seul coup et s'étendit sur son lit, soudain en proie à un terrible sentiment de solitude. Megan continuait de pleurer mais elle ne se sentait pas capable de se lever pour la consoler. Elle aurait voulu que tout soit différent, que tout soit comme avant… C'était tellement plus facile alors…

***

A suivre...


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