La Place du Coeur
Chapitre VII
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Auteur: Aline
Droits divers: Toujours la même chose, les personnages
d'Urgences ne sont pas à moi, ils ont été créés par le grand maître
Michael Crichton et lui appartiennent, etc. Par contre, tous les autres
personnages (Elena, les médecins de San Francisco) ont été inventés par moi.
La chanson utilisée dans ce chapitre est Fear, interprétée par Sarah
McLachlan
Note de l'auteur: Je vous préviens, ce chapitre devient
de plus en plus dramatique, cette pauvre Susan n'en a pas encore fini de pleurer
et de tout remettre en question dans sa vie ;O) D'ailleurs, ce chapitre est
sponsorisé par Kleenex ;O))
***
Alors que le silence retombait lourdement après que John ait terminé son récit,
Susan eut l'impression de recevoir une douche glacée dans le dos. John tendis
la main pour reprendre la sienne, mais elle la retira d'un mouvement vif.
"Susan, écoute…"
Elle se leva brusquement, faisant un pas en arrière sans toutefois parvenir à
détacher son regard incrédule de lui. Elle avait forcément dû mal
comprendre, ça ne pouvait pas être vrai… pas lui, pas John…
"S'il te plaît, laisse-moi t'expliquer…"
Elle secoua légèrement la tête, sentant son esprit s'embrouiller… Pourquoi
? Pourquoi lui ? Et pourquoi ne lui avait-il jamais rien dit auparavant ? Elle
recula d'un pas lorsqu'il se leva à son tour.
"Susan…"
Elle porta une main à ses lèvres pour étouffer un sanglot, et recula
lentement jusqu'à l'entée du living room avant de courir jusqu'à leur chambre
où elle s'enferma à double tour, laissant Carter planté au milieu du salon.
"Merde…" s'exclama-t-il en se relaissant tomber sur le canapé, la tête
dans les mains. "Mais qu'est-ce que j'ai fait ?"
C'était exactement pour cette raison qu'au départ il ne s'était pas senti le
courage de lui en parler. Il craignait qu'elle ne prenne peur et qu'elle ne
mette un terme prématuré à leur relation encore naissante. Par la suite, il
s'était bien rendu compte qu'il aurait pu le faire, que Susan était quelqu'un
de compréhensif, qu'elle n'était pas le genre de femme à le rejeter pour une
erreur commise par le passé. Cependant, un doute persistait dans son esprit, un
doute lié à ce qu'il savait qu'elle avait vécu avec sa sœur. De plus, il lui
avait toujours été difficile de parler de sa toxicomanie, même avec ses
proches… Même avec la femme qu'il aimait. Il aurait certainement fini par en
discuter avec elle, surtout si un jour ils avaient commencé à parler de
mariage. Mais certainement pas maintenant, pas avec tout ce qu'elle vivait avec
Chloe… Aucun autre moment n'aurait pu être plus mal choisi… Un bruit
retentit dans l'entrée, lui indiquant que Joe venait de rentrer. Il poussa un
profond soupire, et se leva lentement pour rejoindre ce dernier dans la cuisine.
"Tout va bien ?" demanda Joe en le voyant entrer. "Où est Susan
?"
John répondit d'un simple signe du menton en direction de la chambre.
"Est-ce qu'elle va bien ?"
"Pas vraiment…"
"Chloe est vraiment allé trop loin…" soupira Joe d'un ton désolé.
"Je ne sais pas comment…"
"Ce n'est pas à cause de Chloe… pas entièrement…"
"Je ne comprends pas…"
"C'est de ma faute, je…"
John s'assit lentement sur une chaise, et lorsque Joe s'installa en face de lui,
il se sentit soudain réellement ridicule. Il appréciait certes beaucoup Joe,
mais n'était pas certain d'avoir très envie de s'épancher sur ses problèmes
de cœur avec quelqu'un qu'il ne connaissait que depuis trois semaines,
particulièrement s'il s'agissait du beau-frère de sa petite-amie…
***
Malgré la nuit qui était tombée depuis longtemps, Susan faisait les cent pas
dans sa chambre, qu'elle avait à peine quittée de la journée. Elle ne
parvenait pas à trouver le sommeil. Une douleur aiguë lui transperçait le
corps de part en part, comme si on lui avait arraché une partie d'elle-même.
Au départ, elle s'était sentie trompée, trahie, puis c'était un sentiment de
colère intense qui avait prit le dessus. Elle en voulait profondément à John
de ne pas lui avoir parlé plus tôt, et ne parvenait à comprendre pourquoi il
ne l'avait pas fait. N'avait-il pas confiance en elle ? Pensait-il que leur
relation ne durerait pas et que ça ne valait pas la peine d'aborder ce genre de
sujet avec elle ? Et en même temps, elle lui en voulait également justement
parce qu'il lui en avait parlé, à ce moment précis où sa vie était déjà
suffisamment compliquée comme cela. Avec tous les soucis que lui causait Chloe,
avait-elle réellement besoin de savoir que son petit-ami était lui aussi un
ancien toxicomane ?
Elle s'arrêta un instant près de la fenêtre, regardant distraitement la rue déserte
et humide de pluie avant de fermer les yeux une seconde. Une image effrayante
lui apparut alors, une image qu'elle connaissait sans vraiment la connaître,
une image où elle se vit elle-même, tentant désespérément d'attraper une
main que John lui tendait mais sans y parvenir. Elle réouvrit brusquement les
yeux, et soudain le rêve qu'elle avait fait au tout début de leur séjour à
San Francisco lui revint à la mémoire. Elle n'y avait même plus repensé
depuis, mais la présence de John dans ce maudit cauchemar semblait à présent
prendre tout son sens. Elle se retourna et son regard s'embua en tombant sur le
lit vide. Bien sûr, elle était en colère, bien sûr elle avait le sentiment
que John n'avait pas été franc avec elle. Mais avant tout elle l'aimait bien
plus qu'elle n'avait jamais aimé personne. Ce qu'elle ressentait pour lui était
si fort que parfois elle avait l'impression de ne plus pouvoir respirer
lorsqu'il n'était pas auprès d'elle, lorsqu'il ne la tenait pas dans ses bras.
Et c'était exactement ce qu'elle ressentait à ce moment précis. Le fait de le
savoir étendu sur le canapé du living room alors qu'elle se trouvait toute
seule dans cette chambre froide et vide était bien plus douloureux que tout le
reste. Alors dans ce cas, qu'est-ce qui l'empêchait de sortir et de le
rejoindre, de lui dire que même si elle lui en voulait, elle était prête à
lui pardonner, à lui donner une autre chance, à leur donner une autre chance ?
Un instant, elle hésita à le faire, mais finalement elle se laissa tomber sur
le lit. C'était trop dur, elle ne s'en sentait pas capable. Ce qu'elle devait
affronter avec Chloe, la peur, la déception, la rancœur, tout cela était déjà
tellement dur à endurer… Comment pourrait-elle supporter de se vivre chaque
jour avec la crainte que John ne replonge lui aussi, que tout ne recommence ?
Quelle vie de couple pourraient-ils donc avoir dans de pareilles conditions ?
Susan enfouit son visage dans l'oreiller, maudissant Chloe et ses stupides
cachets, maudissant les circonstances qui avaient amené John à en prendre lui
aussi, se maudissant elle-même et cette peur irrationnelle qu'elle sentait
grandir en elle sans qu'elle ne puisse rien faire pour l'en empêcher.
***
Carter poussa silencieusement la porte de la chambre. Même si l'on devinait déjà
les premiers rayons du soleil à travers l'épaisse couche de nuages qui
obstruait le ciel matinal, il était encore relativement tôt, et, réveillé
depuis près d'une heure, il ne parvenait à retrouver le sommeil. Ses yeux
mirent quelques secondes à s'accoutumer à la semi-obscurité qui régnait dans
la petite pièce, mais lorsque son regard tomba sur le corps endormi de Susan,
il sentit son cœur se serrer. Elle était recroquevillée sur elle-même en
position fœtale, et les traces sombres qu'il devinait sur ses joues indiquaient
qu'elle avait sans doute passé une partie de la nuit à pleurer. Il s'assit
lentement sur le bord du lit, prenant soin de ne pas troubler son sommeil. Il
aurait tellement souhaité pouvoir revenir en arrière afin d'annuler sa
confession du jour précédent. Si seulement cela avait été possible, si
seulement il n'avait pas été trop tard… Il passa doucement une main dans ses
cheveux, elle se retourna vers lui avec un soupire. Elle avait l'air tellement
fragile, tellement vulnérable… On aurait dit une petite fille qui ne
demandait rien qu'à être consolée et rassurée.
"Je suis désolé, Susan…" murmura-t-il, un sanglot transparaissant
dans sa voix retenue. "Je ne voulais pas te faire de mal, si seulement tu
pouvais me pardonner…"
Il se pencha sur elle et déposa un baiser sur ses lèvres humides. Elle soupira
à nouveau, et il l'entendit murmurer son prénom. Il aurait aimé rester là à
la contempler en silence jusqu'à ce qu'elle ouvre les yeux, mais ignorant
quelle serait sa réaction si elle le trouvait auprès d'elle à son réveil, il
préféra la laisser. Il attrapa un survêtement qui traînait sur le sol au
pied du lit, et quitta la chambre, aussi doucement qu'il était entré. Il
enfila rapidement le jogging et sortit un instant sur le perron afin de prendre
un peu l'air, mais retourna rapidement à l'intérieur à cause de la température
peu élevée qui régnait au dehors. Il se rendit alors dans la cuisine où il
se prépara une tasse de café instantané avant de s'installer à la table. Il
avala une gorgée du liquide brûlant, puis, reposant la tasse sur la table
devant lui, il laissa échapper un profond soupir. Il resta longtemps assis seul
dans la cuisine silencieuse. On était samedi, Joe était parti depuis plusieurs
heures déjà car il assurait un service de nuit et Susie n'était pas encore réveillée.
Il n'y avait donc personne pour perturber le silence lourd qui pesait sur lui,
l'empêchant presque de respirer. Il ignorait combien de temps s'était écoulé
lorsqu'il entendit des pas léger résonner sur le carrelage nu du couloir.
Quelques secondes plus tard, Susie passait une tête encore endormie par la
porte de la cuisine.
"Oncle John" fit-elle dans un bâillement, avant d'entrer dans la pièce
et de venir s'asseoir sur une chaise à côté de Carter.
"Bonjour jolie princesse" dit John en la hissant sur ses genoux.
"Tu as bien dormi ?"
La fillette répondit d'un hochement de la tête.
"Où sont papa et Tante Susie ?"
"Ton papa est au travail, et ta tante dort encore."
"Je peux aller la réveiller ?"
"Je crois qu'il vaut mieux la laisser dormir un peu, elle… elle ne se
sent pas très bien."
"Elle est malade ? Est-ce qu'elle va aussi aller à l'hôpital comme maman
?"
Carter baissa les yeux vers la petite fille. Joe avait finalement décidé de
lui expliquer où se trouvait Chloe, sans cependant entrer dans des détails
inutiles que son jeune âge ne lui aurait de toute manière pas permis de
comprendre.
"Non, rassure-toi, Susan n'ira pas à l'hôpital…" murmura John en
caressant la petite tête blonde de la fillette.
"Alors tant mieux !" s'exclama-t-elle en sautant sur le sol.
"Dis, est-ce qu'on peut préparer des crêpes pour quand elle se réveillera
?"
***
Susan fut tirée de son sommeil par une odeur délicieusement sucrée qui
flottait autour d'elle. Elle eut de la peine à ouvrir les yeux et mis quelques
secondes avant de se rappeler pourquoi elle avait si mal dormi, pourquoi elle se
sentait si malheureuse et si seule, avant que la vue du côté de lit vide ne
lui rappelle les événements de la veille. Elle hésita un long moment à se
lever. Elle n'avait rien mangé depuis le matin précédent, et son estomac
criait douloureusement famine, mais en même temps, elle n'était pas certaine
de se sentir le courage d'affronter John. Elle savait pourtant qu'il faudrait
bien qu'ils discutent, qu'elle ne pouvait pas refuser de lui parler indéfiniment,
mais cela ne l'empêchait pas de redouter cet instant. Pas parce qu'elle
craignait que son cœur ne prenne le pas sur sa raison, mais justement le
contraire. Et en ce moment, sa raison n'avait malheureusement rien de
raisonnable ou de rationnel. Elle décida tout de même de se lever, mais elle
se sentait tellement faible et à bout de force qu'elle eut l'impression que ses
jambes refuseraient de la soutenir. Elle cligna légèrement des yeux
lorsqu'elle ouvrit la porte de la chambre et que la lumière grise du matin la
frappa en plein visage. Elle avança d'un pas hésitant dans le couloir,
frissonnant légèrement lorsque son pied nu frôla le carrelage froid. Elle
entendait les voix de Susie et de John provenant de la cuisine, et remercia
silencieusement sa nièce d'être présente. Dans un certain sens, le fait de ne
pas devoir être seule avec John avait quelque chose de rassurant… Lorsqu'elle
arriva à l'entrée de la pièce, elle resta un instant silencieuse, observant
la scène qui s'offrait à ses yeux. Carter se tenait debout devant la cuisinière,
tentant de faire sauter la crêpe qui se trouvait dans sa poêle, le tout sous
le regard attentif de Susie qui retint sa respiration lorsque John parvint enfin
à faire décoller la crêpe avant d'éclater de rire quand elle retomba à
moitié en dehors de la poêle. A cette vision, elle esquissa un sourire malgré
elle, oubliant un instant la douleur et la peur et imaginant qu'un jour elle
entrerait peut-être dans sa propre cuisine pour y trouver John non pas avec
Susie mais avec l'enfant qu'ils auraient eu…
"Tante Susie !" s'exclama soudain la fillette en se retournant et en
apercevant Susan. "Tu es réveillée ! Regarde, on a fait des crêpes
!" ajouta-t-elle en désignant du doigt une assiette sur laquelle
reposaient déjà une demi-douzaine de galettes fumantes.
John se retourna à son tour tandis que la petite fille courait dans les bras de
sa tante, et il baissa les yeux en rencontrant le regard de Susan. Le sourire
qu'il n'avait pas vu illuminer son visage quelques secondes plus tôt s'était
éteint et avait à nouveau laissé place à ce mélange de déception et d'appréhension
qu'il avait lu dans ses yeux le jour précédent.
"Est-ce… est-ce que tu as faim ?" demanda-t-il d'une petite voix.
Elle aurait aimé pouvoir dire quelque chose, mais les mots restèrent
prisonniers de sa gorge, et elle se contenta en fin de compte de répondre d'un
hochement de tête avant de prendre place à la table. Susie la rejoignit aussitôt
et grimpa sur une chaise à côté d'elle tandis que John apportait l'assiette
remplie de crêpes. Il s'assit à son tour, et un silence lourd tomba entre eux
deux, aucun n'osant lever les yeux vers l'autre. Seule Susie continuait d'agir
le plus normalement du monde, babillant joyeusement sans se rendre compte du
malaise qui régnait entre John et sa tante. Chacun se servit et commença à
manger, sauf Susan. Malgré la faim dévorante qui se faisait ressentir dans son
estomac, la nourriture qui se trouvait devant elle lui donna soudain la nausée.
"Est-ce que ça va ?" demanda John d'un air inquiet au moment précis
où elle se levait précipitamment pour courir vers la salle-de-bains, une main
plaquée sur la bouche. "Reste là" ajouta-t-il à l'attention de
Susie avant de se lever à son tour pour la suivre.
Lorsqu'il poussa la porte de la salle-de-bains, Susan était agenouillée par
terre, la tête appuyée contre le rebord de la baignoire, le corps secoué de
sanglots qu'elle avait trop longtemps refoulés et qu'elle n'avait pu retenir
plus longtemps. John s'approcha lentement d'elle, s'agenouilla à ses côtés et
la prit doucement contre lui, avec des gestes maladroits, comme s'il s'agissait
d'une poupée qu'il avait peur de casser. A sa surprise, il ne rencontra aucune
résistance. Au contraire, Susan se laissa aller et s'accrocha à son pull-over
alors que ses pleurs redoublaient d'intensité. Il tenta de la calmer comme il
pouvait, mais sachant qu'il était en partie responsable de son état, il ne
savait pas vraiment comment s'y prendre. Toutefois, après quelques minutes, ses
sanglots commencèrent à s'espacer et elle leva lentement les yeux vers lui.
"Pourquoi John ?" demanda-t-elle d'une voix faible. "Pourquoi ne
pas m'en avoir parlé plus tôt ?"
"Susan je…" Sa voix s'étrangla, et il dut prendre une profonde
respiration avant d'être en mesure de continuer. "Je ne sais pas…
j'aurais dû, je le sais… c'est tellement dur pour moi de parler de ça…"
Susan se redressa lentement et passa une main sur ses joues humides pour en
essuyer les larmes.
"Je veux savoir…" articula-t-elle d'une voix rauque. "Je veux
savoir exactement ce qui c'est passé… pourquoi… comment… tu dois me le
dire…"
Carter prit une profonde respiration. Le soir précédent, il n'était pas entré
dans les détails, et il savait qu'elle avait raison, elle avait le droit de
savoir.
"Comme je te l'ai dit, tout a commencé après mon agression… après la
mort de mon étudiante… j'allais mal, je n'avais personne à qui me confier -
de toute manière je n'avais pas envie de le faire, ce qui était certainement
une erreur… En plus, je souffrais de ces maux de dos, alors on m'a prescrit
des antidouleur…"
Il s'interrompit un instant, cherchant ses mots pour continuer. Cette partie de
l'histoire, il l'avait déjà racontée à beaucoup de personne. En général,
il achevait par 'j'y ai pris goût, un peu trop, et tout cela s'est terminé
dans un centre de désintox à Atlanta'. Jamais il n'était réellement entré
dans les détails de ce qu'il avait ressenti durant cette période, excepté
avec les psychologues du centre.
"Je ne sais pas exactement ce qui c'est passé dans ma tête… Parfois,
j'avais l'impression que la douleur était tellement forte qu'elle m'empêchait
de respirer, que j'allais m'effondrer d'un moment à l'autre et que je serait
incapable de me relever… Quand je prenais des analgésiques, alors j'avais
moins mal et je me sentais un peu mieux. Et puis j'ai réalisé que les médicaments
me permettaient également de moins ressentir la souffrance psychologique…
C'est idiot sans doute, mais à un moment donné j'étais réellement persuadé
que ça m'aiderait à oublier la mort de Lucy et que je finirais par reprendre
une vie normale…"
Il leva un instant les yeux vers Susan et pour la première fois depuis la
veille ils échangèrent un long regard. Elle ne pleurait plus à présent, et
l'écoutait comme elle savait si bien le faire, sans rien dire.
"Mais plus je prenais de médicaments, plus j'en avais besoin. Et je ne
pouvais pas expliquer à mon médecin qu'il me fallait des doses plus élevées,
car je sais qu'il aurait eu des soupçons… Alors j'ai dû trouver d'autres
moyens de m'en procurer, j'en ai pris plusieurs fois à l'hôpital… Et puis un
jour j'ai volontairement prescrit une dose trop élevée de Fentanyl à un
patient afin d'en garder pour moi… Abby m'a surpris, elle m'a dénoncé… La
suite je te l'ai déjà racontée, on m'a posé un ultimatum, soit je partais en
centre de réhabilitation, soit je disais adieu à ma place au County…"
Il se tut, et le silence retomba. Susan avait toujours les yeux fixés sur lui,
mais ce qu'il y lisait n'était plus la même chose que quelques minutes avant.
Il n'aurait toutefois pas su définir de quoi il s'agissait… ce n'était pas
de la pitié ou de la compassion comme il lui était arrivé si souvent d'en
rencontrer depuis qu'il avait eu tous ces problèmes. En réalité, il avait
l'impression qu'elle attendait quelque chose de plus de lui.
"Je sais bien que cela n'explique rien, surtout pas que j'aie attendu aussi
longtemps pour t'en parler…"
Susan baissa la tête et ferma les yeux. Elle s'en voulait terriblement de réagir
de cette manière, mais c'était plus fort qu'elle. John avait l'air de
regretter tellement ce qu'il s'était passé, comment pouvait-elle rester fâchée
après lui ? Elle aurait aimé pouvoir simplement se blottir dans ses bras et
tout oublier, tout effacer. Elle n'était plus réellement fâchée en réalité,
son cœur était entièrement prêt à pardonner. Elle se rapprocha légèrement
de lui pour l'embrasser, mais se ravisa au dernier moment. Il n'y avait rien à
faire, elle n'y arriverait pas.
"Susan, je sais que tu m'en veux, mais je t'en supplie, il faut que tu
comprennes…"
"Je comprends… du moins je crois… mais le problème n'est pas là,
John…"
"Où est-il dans ce cas ?"
Susan soupira. "Je n'en sais trop rien moi-même… je crois que j'ai
peur… ce n'est pas facile, je ne veux pas vivre tout cela encore une
fois…"
"Je croyais que…" Il s'interrompit, incapable de continuer. Dans un
sens, il comprenait sa réaction. Mais en même temps, il se sentait blessé…
Leur amour n'était-il pas plus important que le reste ? "Laisse-moi au
moins une chance, tu sais très bien que je vais bien, que je n'ai rien repris
depuis…"
"Je ne sais pas…" murmura-t-elle en levant vers lui ses yeux verts
imbibés de larmes. "C'est trop dur… John je… je suis désolée…
vraiment…"
And I fear I have nothing to give
I have so much to lose here in this lonely
place
Tangled up in your embrace
There's nothing I'd like better than to fall
John ne parvenait pas à croire ce qu'il venait d'entendre. Il ne voulait
pas que leur relation se termine comme ça, pas pour une bêtise pareille. Il était
déjà sorti avec beaucoup de femmes, mais jamais rien n'avait duré davantage
que quelques mois. Et jamais il n'avait été amoureux comme il l'était cette
fois-ci. Pour la première fois de sa vie sans doute, il avait commencé à
envisager qu'il passerait peut-être le restant de son existence avec la même
personne. Et cette personne, c'était Susan. Il s'était souvent amusé à
imaginer ce qu'il ferait dix ans plus tard, et, désormais, à chaque fois il se
voyait marié avec elle, élevant leurs enfants dans une belle maison où ils
vivraient heureux. Même si sa réaction le décevait, il pouvait admettre que
les circonstances y était sans doute pour quelque chose, et il ne pouvait se résoudre
à voir tous ses rêves, tous ses projets s'effondrer de la sorte. Si seulement
elle pouvait accepter de lui faire confiance… Il s'agenouilla face à elle,
prit ses mains dans les siennes et la força à le regarder.
"Susan, je comprends ce que tu peux ressentir. Tout ce que je te demande
c'est d'avoir confiance en moi. Je te promets que jamais je ne retomberai là-dedans,
j'ai… je suis bien trop content d'être parvenu à m'en sortir."
Susan poussa un profond soupire. Savait-il seulement le nombre de fois où elle
avait déjà entendu le même genre de promesse ? Ce n'est pas Chloe, se
dit-elle alors. C'est John, et jamais il ne te fera de mal… C'était là
sans doute la seule chose à laquelle elle pouvait se raccrocher, et elle
ignorait si ce serait suffisant. Mais sur le moment au moins, cette certitude
suffit à la calmer. Elle plongea un instant ses yeux dans ceux de John, et il
prit doucement son visage entre ses mains, approchant le sien jusqu'à ce que
leurs lèvres se rencontrent. Elle sentit un long frisson lui parcourir la
colonne vertébrale et le laissa la prendre contre lui, essayant de se
convaincre que tout irait bien tandis qu'il l'entourait de ses bras.
***
A suivre...