La Place du Coeur
Chapitre V


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Auteur:   Aline

Droits divers:   Toujours la même chose, les personnages d'Urgences ne sont pas à moi, ils ont été créés par le grand maître Michael Crichton et lui appartiennent, etc. Par contre, tous les autres personnages (Elena, les médecins de San Francisco) ont été inventés par moi.

***

Susan se réveilla en sursaut, le corps à la fois couvert de sueur et parcourut de longs frissons. Elle se retourna machinalement pour constater que John dormait paisiblement à ses côtés. Elle n'avait pas refait ce cauchemar depuis des années, depuis que… Elle se redressa difficilement, puis se glissa hors du lit. L'air qui entrait dans la pièce par la fenêtre entrouverte était frais et elle enfila son peignoir par-dessus sa chemise de nuit, avant de jeter un rapide coup d'œil au réveil posé sur la table de nuit. Il était près de deux heures du matin.

Elle quitta la chambre sans faire de bruit et monta machinalement au premier pour voir si Susie dormait bien. Elle demeura quelques instants dans l'entrée de la chambre de la petite fille, appuyée contre le montant de la porte et écoutant le bruit régulier qu'émettait la fillette en respirant. De la pièce d'à côté lui parvenaient les ronflements atténués de Joe. Elle ne l'avait pas vu lorsqu'il était rentré, il avait dû croire qu'elle et John étaient déjà endormis. Elle sourit malgré elle à l'évocation des événements qui s'étaient déroulés un peu plus tôt dans la petite chambre qu'elle partageait avec Carter. Jamais plus que ce soir-là elle n'avait eu besoin d'être avec lui, de sentir la chaleur de son corps contre le sien, la douce caresse de ses lèvres sur sa peau. Pendant quelques instants, elle avait tout oublié, elle n'était plus une sœur ou une tante, mais juste une femme dans les bras d'un homme qu'elle aimait. Elle s'était endormie paisiblement, le cœur léger, puis il avait fallu qu'elle refasse ce cauchemar, et elle savait qu'elle aurait bien du mal à retrouver le sommeil cette nuit-là. Elle referma doucement la porte de la chambre de Susie et redescendit au rez-de-chaussée. Elle se rendit tout d'abord à la cuisine où elle se versa un verre d'eau, puis s'installa dans un fauteuil du living room. Elle aurait voulu ne plus y penser, mais son rêve continuait de la tourmenter. Elle l'avait déjà fait à plusieurs reprises, des années auparavant, lorsque Chloe était au plus mal.

Elle se trouvait seule dans une pièce sombre. Une voix lui parvenait sans qu'elle puisse ni l'identifier, ni en définir la provenance, ni même comprendre les mots qu'elle prononçait. Puis les paroles devenaient de plus en plus clairs, et finalement elle comprenait que quelqu'un l'appelait par son prénom, avant enfin de reconnaître la voix comme étant celle de Chloe. Elle apercevait alors une ombre dans le fond de la pièce, et décidait de la suivre. Quand enfin elle parvenait à la rattraper, c'était pour constater qu'il s'agissait de sa sœur, vêtue d'une longue robe noire, le teint affreusement pâle. "Ce n'est pas grave, Susie" murmurait-elle d'une voix enrouée, "ce n'est pas grave". Puis elle disparaissait. D'habitude, c'était toujours à ce moment que Susan se réveillait, mais cette fois-ci ce n'avait pas été le cas. Au moment où l'image de Chloe s'était estompée, une autre était apparue à sa place après quelques secondes : celle de John, le visage souriant. Elle le voyait remuer les lèvres mais aucun son ne semblait en sortir. "Quoi ?" demanda-elle. Il avait alors cessé de parler, et lui tendait la main. Elle en avait fait de même afin l'attraper, mais n'était pas suffisamment proche et ne parvenait pas à avancer, comme si ses pieds étaient collés au sol. Chloe avait alors réapparu derrière lui, et au moment où elle avait posé sa main sur son épaule, ils avaient disparu tous les deux au même instant. Susan ne saisissait pas la signification tout cela, et se sentait trop fatiguée pour y réfléchir. Néanmoins, elle ne pouvait s'empêcher de se sentir inquiète et de se demander ce que John venait faire dans ce rêve. Dans un sens, et compte tenu de la situation, elle n'était pas vraiment étonnée d'avoir refait ce cauchemar, mais pourquoi John ? C'était cela en particulier qu'elle ne parvenait à comprendre.

Elle s'enfonça dans le fauteuil, s'installant plus confortablement. Elle était toujours dans cette position lorsqu'elle ouvrit les yeux quelques heures plus tard. Il était encore très tôt, mais il faisait déjà jour et les rayons du soleil l'éblouirent lorsqu'elle ouvrit les yeux. Elle se releva lentement et fut un instant tentée de se rendre sur la terrasse pour profiter des premières minutes du matin. Toutefois, la fatigue qu'elle ressentait la décida plutôt à retourner se coucher. Elle regagna donc sa chambre à pas de loup et s'étendit au côté de John, qui dormait paisiblement, pour trouver le sommeil aussitôt.

***

Lorsque Carter ouvrit les yeux, le jour semblait déjà levé depuis une éternité, mais il se sentait aussi fatigué que s'il venait d'effectuer une garde de vingt-quatre heures. Il n'avait jamais bien supporté le décalage horaire, et il fallait dire que ni lui ni Susan ne s'étaient endormi très tôt le soir précédent. Elle n'était d'ailleurs pas encore réveillée, comme le lui indiquait le bruit régulier de sa respiration juste à côté de lui. Il se tourna lentement sur le côté et l'observa quelques minutes. Elle était recroquevillée sur elle-même, un bras passé sous l'oreiller, l'autre crispé autour de ses genoux repliés sous son menton. Son visage en revanche semblait étrangement paisible, et il pouvait lire un léger sourire sur ses lèvres entrouvertes. John se pencha doucement sur elle et effleura son front de ses lèvres avant de se glisser hors du lit et de la chambre sur la pointe des pieds.

La maison qui retentissait le jour précédent du rire cristallin de Susie était à présent parfaitement silencieuse, ce qui laissa à Carter une étrange impression de malaise. Il se rendit directement dans la cuisine afin d'avaler quelque chose et fut surpris d'y trouver Joe, absorbé par la lecture du journal du matin. Il ne s'était pas attendu à ce qu'il soit encore là.

"Bonjour" dit-il en entrant dans la cuisine.

Joe leva les yeux vers lui et le considéra un instant avant de réaliser de qui il s'agissait.

"Oh, bonjour. J'imagine que vous devez être l'ami de Susan."

Carter répondit d'un hochement de tête tout en serrant la main que Joe lui tendait, avant de se présenter.

"Je suis ravi de faire votre connaissance" dit Joe en se levant. "Est-ce que vous voulez une tasse de café ?"

"Volontiers oui" répondit John tout en s'installant sur une chaise.

Joe revint s'asseoir en face de lui quelques instants plus tard, déposant deux tasses fumantes sur la table de pin. Carter le remercia puis porta la sienne à ses lèvres et avala une gorgée de café. Le silence s'installa entre les deux hommes, jusqu'à ce que Susan ne les rejoigne une dizaine de minutes plus tard.

"Bonjour" fit-elle dans un bâillement en pénétrant dans la pièce.

"Salut, Susan" répondit Joe en se levant pour la serrer rapidement dans ses bras. "Je suis content de te revoir."

"Moi aussi, mais j'aurais préféré que ce soit en d'autres circonstances…" dit la jeune femme en se dirigeant vers John. Elle se pencha sur lui et déposa un léger baiser sur ses lèvres avant de s'asseoir sur une chaise libre à côté de lui. Il tourna les yeux vers elle et l'examina un instant sans qu'elle ne s'en aperçoive. Elle paraissait épuisée.

"Susie est à l'école ?" demanda-t-elle après quelques secondes en étouffant un bâillement.

Joe répondit d'un hochement de tête. "Elena est venue la chercher pour l'y conduire il y a plus d'une heure, alors que vous dormiez encore tous les deux comme des bébés. Elle a été déçue, elle aurait beaucoup aimé que ce soit sa 'Tante Susie' et son 'Oncle John' qui l'y amènent…"

Il jeta un regard amusé en direction de Susan et de Carter, et une fois de plus elle sentit son teint s'empourprer et ne put que constater que cette fois-ci John était dans le même cas qu'elle.

"A quelle heure irons-nous voir Chloe ?" continua-t-elle sans s'attarder sur la remarque de Joe.

"Quand tu le souhaiteras… je veux dire, quand vous le souhaiterez" répondit-il en se tournant vers Carter. "J'ignore si vous nous accompagnez…"

"Je viens avec vous."

Susan se tourna vers lui, lui adressant une fois encore un sourire reconnaissant, et Carter comprit à quel point elle redoutait cette visite à sa sœur. Il chercha sa main sous la table et la serra dans la sienne.

"Il vaudrait peut-être mieux y aller tout de suite dans ce cas" murmura-t-elle, comme si elle désirait que cela soit fait le plus rapidement possible.

"Tu ne veux rien manger ?"

Susan secoua la tête. Elle était tellement nerveuse qu'elle en avait la nausée et sentait qu'elle serait incapable d'ingurgiter quoi que ce soit.

"Je préfèrerais vraiment que nous partions tout de suite…" murmura-t-elle.

Joe hocha la tête, puis Susan quitta la pièce pour aller s'habiller tandis que John finissait son café.

***

L'hôpital ne se situait qu'à quelques kilomètres de la maison où vivaient Chloe et sa famille, et le trajet ne leur pris qu'une petite dizaine de minutes. Dix minutes qui parurent à Susan n'avoir duré que quelques secondes tant elle se sentait anxieuse, presque terrifiée. Elle commençait de plus en plus à regretter d'être venue, elle craignait que ses nerfs ne la lâchent, qu'elle ne puisse pas supporter de revivre ça. Bien sûr elle redoutait cela depuis le moment-même où elle avait pris la décision de venir à San Francisco, mais alors qu'au cours de la journée précédente elle était miraculeusement parvenue, grâce à Susie et à John, à mettre ses peurs de côtés, elles revenaient à présent au galop.

"Je vais chercher une place pour la voiture" leur dit Joe en s'arrêtant au milieu du parking complètement occupé. "Allez-y déjà, je vous rejoindrez."

Susan observa son beau-frère un instant avant de tourner les talons, et elle constata que malgré l'assurance qu'il tentait d'afficher, Joe paraissait soudainement beaucoup plus nerveux que le jour précédent au téléphone. Peut-être qu'en fin de compte il n'était pas aussi rassuré et convaincu du rétablissement rapide de Chloe qu'il voulait bien le faire croire. Prenant le bras de Carter, la jeune femme s'éloigna avec lui en direction de l'entrée de l'hôpital. Ils se dirigèrent directement vers le bureau des admissions sans même prendre garde aux gens et objets qui les entouraient. Susan était tellement habituée à travailler dans un hôpital qu'elle détestait s'y trouver en tant que patiente ou visiteuse, et John n'ayant pas l'air beaucoup plus à l'aise qu'elle-même elle en déduisit qu'il devait ressentir la même chose. Une réceptionniste plutôt corpulente et apparemment de très mauvaise humeur leur indiqua le numéro de la chambre dans laquelle Chloe était installée.

Personne ne répondit lorsque Susan frappa doucement à la porte, et elle en conclut que sa sœur devait être en train de se reposer. Serrant la main de John, elle prit une profonde respiration et pénétra dans la chambre. Il s'agissait d'une petite pièce sobre et claire, une chambre d'hôpital classique. Les rideaux de la grande fenêtre qui occupait la quasi-totalité du mur opposé à la porte avaient été légèrement tirés afin d'empêcher la lumière déjà aveuglante de cette matinée de printemps de venir troubler le sommeil de l'occupante de la pièce. Chloe semblait en effet - et comme sa sœur l'avait supposé - toujours endormie, et lorsque Susan et Carter s'approchèrent du lit sur lequel elle reposait, la jeune femme sentit son cœur se serrer et les larmes lui monter aux yeux. Chloe était toujours branchée à un électrocardiogramme qui indiquait son rythme cardiaque tandis qu'un tensiomètre fixé à son bras droit vérifiait sa pression artérielle toutes les dix minutes. Une intra-veineuse était plantée dans sa main gauche et reliée à une perfusion de sérum physiologique destiné à la réhydrater. Entourée de toutes ses machines, Chloe, d'habitude si vivante, paraissait soudain tellement fragile… Susan s'approcha lentement de sa sœur et s'assit sur le bord de son lit. La jeune femme remua alors légèrement, tourna la tête et entrouvrit des yeux vides et fatigués. Son regard balaya un instant la pièce sans qu'elle ne paraisse voir quoi que ce soit qui s'y trouvait, puis elle s'arrêta sur Susan et sourit faiblement lorsqu'elle la reconnut.

"Ca alors, tu es venue me dire bonjour Susie…" dit-t-elle d'une voix éteinte et presque inaudible. "Je suis tellement contente de te voir…"

"Je suis contente aussi, Chloe…" répondit Susan d'une voix tremblante, se retenant pour ne pas pleurer.

John était resté un peu à l'écart et ne savait pas tellement ce qu'il convenait qu'il fasse, comment il devait réagir. Chloe ne semblait pas l'avoir vu, et même si cela avait été le cas il devinait que vu l'état dans lequel elle se trouvait, elle ne l'aurait de toute manière pas reconnu - elle ne l'avait après tout vu qu'une seule fois, le jour de la naissance de sa fille.

"Est-ce que tu veux un café, ou quelque chose d'autre ?" demanda-t-il finalement à Susan d'une voix douce et s'approchant d'elle.

Les deux sœurs levèrent les yeux vers lui en même temps et Susan hocha la tête en murmurant : "volontiers". John se pencha pour déposer un baiser sur ses lèvres, et après avoir adressé un sourire à Chloe, il quitta la chambre, laissant Susan seule avec sa sœur.

"Tu ne m'avais pas dit que tu voyais quelqu'un" murmura Chloe après quelques instants.

Susan ne répondit pas. Au lieu de ça, elle se leva et s'approcha de la fenêtre dont elle tira légèrement les rideaux afin de pouvoir regarder au-dehors.

"Tu es fâchée contre moi, Susie ?" continua Chloe face au silence de sa sœur.

Celle-ci ferma les yeux et se mordit violemment la lèvre pour s'empêcher de se retourner et de lui dire tout ce qu'elle avait sur le cœur. Elle n'était pas juste fâchée, elle était en colère, une colère tellement violente qu'elle était incapable de l'exprimer avec des mots. Comment Chloe pouvait-elle se comporter de la sorte ? Elle agissait comme si elle ne se sentait même pas concernée par ce qui lui arrivait, comme si tout cela lui passait au-dessus. Réalisait-elle seulement la portée de ses actes, les conséquences qu'ils auraient sur ses proches ? Elle n'était pas seule en cause, c'était sa famille entière qui était touchée. Et cela, Susan ne pouvait le lui pardonner. La seule pensée du regard de sa nièce au moment où il faudrait lui expliquer ce qu'il se passait réellement lui brisait le cœur. Susie ne comprendrait sans doute pas tout de suite, elle était encore petite. Mais un jour elle serait suffisamment grande pour mesurer la gravité de ce qui était arrivé à sa mère, et elle aussi devrait alors vivre avec la crainte permanente qu'elle ne rechute, la crainte que sa vie ne soit brisée une fois encore par une des personnes qu'elle aimait le plus au monde. Plus que jamais, la jeune femme regrettait de ne pas s'être battue davantage pour obtenir la garde de la petite fille des années auparavant, de ne pas avoir su la protéger comme elle l'aurait souhaité. Elle se retourna brusquement, mais elle sentit sa colère retomber au moment-même où son regard se posa sur le visage pâle et maigre de sa sœur, sur ses yeux vitreux dans lesquels elle pouvait lire la détresse que ses paroles n'exprimaient pas. Susan s'approcha à nouveau du lit de sa sœur, et tout en s'agenouillant à côté d'elle, elle lui prit doucement la main.

"Je ne suis pas fâchée, Chloe" murmura-t-elle en s'efforçant de sourire.

"Je suis tellement désolée Susie" murmura Chloe d'une voix tremblante et mal assurée. "Je ne voulais pas ce qui s'est passé, je te le jure, je regrette tellement…"

La jeune femme éclata en sanglots, et s'accrocha désespérément au cou de Susan qui la serra contre elle, tentant de la calmer tout en retenant de toutes ses forces ses propres larmes. Chloe était toujours désolée, elle regrettait toujours. Combien de fois Susan avait-elle déjà entendu ces paroles ? Des dizaines. Mais malgré cela, elle voulait la croire, elle le désirait de tout son être. Ce qu'elle ignorait, c'était si elle en serait capable. La porte s'entrouvrit légèrement, laissant passer John et Joe, munis chacun d'un gobelet de café. Chloe se rejeta en arrière, essuyant ses larmes du revers de la main, et Susan se releva lentement.

"Ca va ?" lui demanda John en lui tendant son café.

La jeune femme hocha la tête et sourit faiblement, avant de reporter son attention sur Chloe. Joe s'était assis sur la chaise à côté d'elle après avoir déposé sa tasse sur la table de nuit, et passait tendrement une main dans ses cheveux.

"Comment tu te sens aujourd'hui ?" lui demanda-t-il d'une voix douce.

"Ca va" répondit-elle. "Je suis contente que Susie soit venue" ajouta-t-elle en levant les yeux vers celle-ci. "Et si tu me présentais ton ami, petite sœur…"

"Bien sûr, c'est John Carter, il…"

"… travaille avec toi, oui je me souviens. C'est vous qui étiez là pour l'accouchement de ma fille n'est-ce pas ?"

"C'est exact" répondit John avec un léger sourire.

"J'avais meilleure mine ce jour là…" soupira Chloe. "Je suis heureuse pour vous, ma Susie est la meilleure…"

"Je sais" murmura John en passant tendrement un bras autour de la taille de Susan.

"Tu devrais te reposer un peu ma chérie" intervint Joe.

"Je viens à peine de me réveiller" protesta la jeune femme.

"Oui, mais tu sais ce que le docteur à dit, et je suis certain que Susan te dirait la même chose…"

La jeune femme confirma les dires de son beau-frère d'un hochement de tête, et quelques minutes plus tard tous les trois quittaient la chambre où Chloe s'était rendormie.

"Elle a l'air d'aller plutôt bien non ?" leur dit Joe quelques instants plus tard, alors qu'ils étaient installés à une table dans la cafétéria de l'hôpital.

Susan et John échangèrent un regard. Tous les deux savaient très bien, pour ne l'avoir que trop souvent constaté, que même si Chloe semblait sur la bonne voie pour l'instant, rien n'était encore gagné. Tant qu'elle resterait à l'hôpital, il y aurait des gens présents pour s'occuper d'elle vingt-quatre heures sur vingt-quatre, pour lui donner des médicaments lorsqu'elle irait trop mal et s'assurer qu'elle ne reprendrait rien d'autre que ce qui lui était prescrit. Mais qu'arriverait-il lorsqu'elle sortirait ?

"Joe" fit soudain Susan à voix basse, "il faut que tu me raconte ce qui s'est passé, exactement. Je veux dire, Chloe allait très bien en octobre quand je suis partie, qu'est-il arrivé depuis ?"

Joe soupira. Apparemment, il avait espéré que Susan n'aborderait pas le sujet.

"Tu sais, elle n'a pas très bien supporté le déménagement, elle ne m'a jamais rien dit mais après quelques semaines j'ai compris qu'elle n'y avait jamais été réellement favorable. J'imagine que tout recommencer encore une fois était difficile pour elle, elle ne connaissait personne ici, et tu n'étais plus là pour la soutenir… Quant-à-moi, je travaillais beaucoup, Susie était à l'école presque toute la journée, et au début elle restait souvent seule…"

"Mais elle a quand même fini par se faire des amis, j'ai rencontré cette femme chez vous hier…"

"Oui bien sûr, ça a été difficile au début et puis ça s'est arrangé… Et puis il a fallu qu'elle perde le bébé…"

Susan regarda son beau-frère avec des yeux ronds. Quel bébé ? Chloe avait fait une fausse-couche ? Elle ignorait même qu'elle était enceinte !

"Tu n'étais pas au courant…" murmura Joe en constatant la surprise dans le regard de Susan. "Je croyais qu'elle t'en avait parlé… Elle était enceinte de quelques semaines quand tu es partie, je crois qu'elle t'en aurait parlé à Noël, mais comme on ne s'est pas vu… Et ensuite, elle a fait une fausse-couche en février… Elle s'est sentie terriblement coupable, elle se réjouissait tellement de la naissance de cet enfant… Moi aussi bien sûr, mais elle ça a été pire… A partir de là, plus rien n'a été… Je lui ai conseillé de se faire aider, de consulter un psychologue, mais elle m'assurait qu'elle n'en avait pas besoin, que ça finirait par passer…"

Susan avait du mal à en croire ses oreilles. Chloe était enceinte au moment où elle était partie et elle ne lui avait rien dit. Jamais elle ne lui avait téléphoné, pas même lorsqu'elle avait perdu son bébé. Elle qui croyait qu'elles s'étaient rapprochées de manière considérable au cours des cinq dernière années… Elle ne savait plus quoi penser.

"Joe… est-ce que cette fois était la… première ? Je veux dire, est-ce qu'elle avait déjà pris des somnifères ou autre chose avant l'autre soir ?"

Joe ferma les yeux et laissa échapper un long soupir.

"Je n'en sais rien, Susan" murmura-t-il d'un ton coupable. "Plus j'y réfléchis, plus je me rends compte que ça ne devait pas être la première fois, mais sur le moment je ne me suis aperçu de rien… Est-ce que tu te rends compte à quel point c'est grave, ma propre femme se bourrait de cachets et je n'ai rien remarqué avant qu'il ne soit trop tard…"

Il secoua légèrement la tête, puis, après avoir pris une profonde inspiration, il se leva.

"Je vais retourner la voir un instant, ensuite je vous ramènerai à la maison, Elena ne va pas tarder à rentrer avec Susie."

"Toi tu ne rentres pas ?"

"J'aimerais bien, mais il faut que j'aille travailler."

Susan hocha la tête, et Joe quitta la petite pièce. Lorsqu'il fut parti, la jeune femme appuya sa tête sur l'épaule de John.

"Tu crois que c'est de ma faute ?" demanda-t-elle.

"Qu'est-ce qui serait ta faute ?"

"Je ne sais pas… tout peut-être… Peut-être que si je n'étais pas partie…"

"Stop" l'interrompit Carter. "Je t'interdis de raisonner comme ça. Ce qui arrive à Chloe n'a rien à voir avec le fait que tu sois partie, et même si c'est le cas tu ne pouvais de toute manière pas passer ta vie à lui tenir la main. Chloe est une grande fille, Susan. C'est elle qui est responsable de ses actes, pas toi."

"Mais si j'étais restée j'aurais su ce qui lui était arrivé, j'aurais pu l'aider…"

"Susan… c'est elle qui a décidé de ne pas t'en parler, rien ne l'empêchait de te téléphoner si elle en avait besoin. J'ignore pourquoi elle ne l'a pas fait, mais les choses sont ce qu'elles sont et tes remords ne pourront rien y changer…"

Susan soupira et se blottit contre lui. Elle savait bien qu'il avait raison, elle ne pouvait pas être coupable de ce qui arrivait à Chloe si même Joe n'avait rien vu venir. Pourtant, une partie d'elle-même continuait de lui crier que si elle n'était pas partie, que si elle était restée auprès de sa sœur et de sa famille, alors les choses n'auraient peut-être pas tourné de cette façon.

***

A suivre...

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