Le Chant des Anges

by Amyra

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Disclaimer: la même chose que les autres fois, aucun des personnages d'Urgences ne m'appartient, je ne fais que les emprunter à leur créateur, Michael Crichton, en espérant que ce monsieur est quelqu'un de très gentil (ce dont je ne doute d'ailleurs absolument pas) et qu'il ne m'en voudra pas trop, et je promets de les lui restituer dès que je n'en aurai plus besoin dans le meilleur état possible :-)

Rating: R (déconseillé aux moins de 18 ans)

Catégorie: F/F slash

Pairing: SL/AL

Spoilers: Saison 8

Avertissement: Cette fic met en scène une relation homosexuelle entre deux personnages féminins, en l'occurrence Susan et Abby. Donc si vous ne supportez pas l'idée de deux femmes ensemble, ne lisez pas, je ne voudrais pas ensuite recevoir des plaintes parce que ça aura écorché vos pauvres petits yeux :-)

Note de l'auteur: Après une fic sur Dave et Abby et sur John et Susan, j'ai décidé de m'essayer au slash, un genre très en vogue parmi les auteurs de fic américaines mais (malheureusement) pas encore très développé chez les auteurs francophones (sauf si vous êtes fans de Buffy Contre Les Vampires, et même là on peut pas vraiment dire que ça prolifère…) Pour cela j'ai donc décidé de mettre ensemble mes deux personnages préférés, Susan et Abby. Voilà, j'arrête là mon petit speech, j'espère que la fic vous plaira et pour finir n'oubliez pas que le feedback est toujours le bienvenu (je le répète à chaque fois et ça remplit pas davantage ma boîte aux lettres, mais on peut toujours espérer :-)

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   Je levai les yeux vers le ciel nocturne et étoilé qui s'étendait au-dessus de Chicago, prenant une profonde inspiration, laissant l'air frais de cette nuit d'avril s'infiltrer à l'intérieur de mes poumons. Un frisson glissa lentement le long de mon dos, mais je n'en éprouvai pas de réel désagrément. J'ai toujours aimé la nuit, cette amie protectrice et traîtresse à la fois, durant laquelle les choses semblent toujours prendre un sens radicalement opposé à celui qu'elles revêtent à la lumière du jour, durant laquelle tout semble toujours moins compliqué. Je ne saurais expliquer pourquoi exactement, mais lorsque je traverse des périodes difficiles, je me sens généralement mieux une fois que les derniers rayons du soleil sont allés se nicher tout là-bas derrière la ligne irrégulière de l'horizon. Lorsque j'étais petite, ma grand-mère me racontait parfois que quand nous allons mal, la nuit est la plus propice à nous fournir le réconfort dont nous avons besoin, et ce à cause des anges qui reçoivent l'autorisation de quitter leurs nuages pour descendre parmi les hommes afin d'atténuer leurs souffrances grâce aux chants magiques dont eux-seuls ont le secret. Sans doute une partie de moi s'accrochait-elle à ces contes, sans doute espérais-je trouver enfin une forme quelconque de paix à la lueur de la lune et des étoiles.

   A cette période-là, quelques mois à peine après mon retour à Chicago, ma vie me semblait plus compliquée et plus sombre qu'elle ne l'avait jamais été auparavant. Mon meilleur ami venait à peine de mourir, et je n'avais pas d'épaule sur laquelle pleurer, la plupart des amis de Mark se préoccupant davantage de ce que pouvait éprouver Elizabeth, sa veuve, que de moi-même. Je me sentais emprisonnée dans ma solitude, incapable de m'en défaire.

   Comme je l'ai déjà mentionné, cela faisait environ six mois que j'avais quitté l'Arizona où je vivais jusque là avec ma sœur, son époux et leur fille de six ans pour revenir à Chicago, la ville de mon enfance où j'avais passé presque toute ma vie et que j'avais quittée cinq ans plus tôt. Si j'ai retrouvé certaines choses que j'avais laissée derrière moi en partant telles que je les avais quittées, la plupart des gens qui m'entouraient à l'époque avaient radicalement changé; certains étaient partis eux aussi, de nouveaux visages étaient arrivés pour les remplacer, d'autres encore étaient mariés, parents. Je pensais qu'il me faudrait des mois pour m'habituer à tout cela, mais en fin de compte mon retour se passa à merveille, et j'eus même quelques surprises plutôt agréables. Carter fut l'une d'entre elles. Le jeune étudiant en médecine, timide et maladroit que j'avais connu avait laissé la place à un jeune médecin doué, mais surtout à un homme particulièrement séduisant. Il ne nous fallut pas longtemps pour redevenir d'excellents amis, et la seule chose que j'espérais alors était que notre relation évolue pour devenir quelque chose de plus sérieux. Malheureusement, tout ne s'est pas passé exactement comme je l'aurais souhaité, car même si nous avons effectivement rapidement dépassé le stade de l'amitié, le simple flirt d'adolescents auquel nous nous livrions ne me satisfaisait plus. Carter semblait être partout autour de moi, il hantait mes pensées, mes rêves, et mon désir le plus ardent était de me réveiller un beau matin dans ses draps. Le problème était que lui ne semblait pas se sentir prêt pour ce genre de relation. Lorsque je pris enfin conscience de cela, j'étais déjà bien trop attachée pour que la rupture se fasse sans douleur. Elle était toutefois nécessaire, et même si elle ne fut pas la plus importante source de larmes de ma vie, je garde encore aujourd'hui un souvenir amer de cette expérience.

   C'est environ à la même période, peut-être un peu avant, que j'ai appris que Mark était très malade, qu'il allait mourir, emporté par cette tumeur qu'il était parvenu une fois à combattre mais qui ne semblait pas décidée à lui accorder un sursis supplémentaire. Quelques mois à peine, d'après son neurologue, peut-être juste quelques semaines. C'était court, trop court… et tellement injuste… Jamais il ne verrait aucune de ses deux filles recevoir leur diplôme de fin d'étude, se marier, avoir des enfants. Ella, qui n'était âgée que d'une année, ne garderait même pas d'autres souvenirs de lui que ceux que sa mère et sa demi-sœur pourraient lui rapporter. Quant à moi, jamais je ne lui dirais à quel point il comptait toujours pour moi, à quel point j'avais besoin de lui. Tout ce que je pus faire fut de l'accompagner dans ses derniers jours, m'effaçant toutefois et retournant dans l'ombre à chaque fois que Elizabeth ressentait le besoin d'être seule avec lui. Et puis il est parti, s'éteignant un matin de mars dans la pâle lueur printanière qui flottait dans la petite chambre stérile et impersonnelle de l'étage de neurologie où il avait séjourné en attendant la mort. D'anciens amis sont revenus pour ses obsèques, à peine le temps pour moi de réaliser que ce qu'il s'était passé n'était pas juste un mauvais rêve. Après, je me suis retrouvée seule. Je ne pouvais me confier à Elizabeth qui me détestait, restant persuadée au-delà de la mort de son époux que nous avions eu une liaison, je ne me sentais pas la force de me tourner vers Carter car je ne pourrais pas supporter de souffrire davantage que c'était déjà le cas, et je n'avais pas d'autre réel ami qui aurait pu comprendre et partager ce que je pouvais ressentir. Alors je suis restée seule avec ma douleur, apprenant chaque jour à la domestiquer et à vivre avec, incapable toutefois de la chasser de mon cœur. Il m'aurait fallu un miracle pour que je parvienne enfin à reprendre ma vie en main, et ne croyant plus aux miracles depuis longtemps, je n'en espérais strictement aucun. J'étais en quelque sorte résignée à vivre dans cet état de semi-torpeur pour le restant de mes jours. C'est toutefois justement lorsqu'on les attend le moins que les phénomènes les plus merveilleux se manifestent, et souvent d'une manière à laquelle on aurait jamais pensé. Ce fut exactement ce qu'il se passa pour moi.

   En me réveillant ce matin-là, j'ignorais encore que plus aucun matin ne serait jamais pareil, que quelques heures plus tard, tout dans ma vie allait changer radicalement. Même si en surface suis toujours restée la même, ma vision de tout ce qui m'entourait a été totalement bouleversée de manière définitive en une seule nuit, que ce soit mon travail, mes amis, ma relation avec John, avortée avant même d'avoir réellement commencé, la mort de Mark… Rien, rien n'a plus jamais été tout à fait pareil.

   Je me tenais toujours seule sur le toit de l'hôpital, perdue dans la contemplation de la voûte infinie du ciel au-dessus de moi, lorsque j'entendis des pas qui se rapprochaient. Je me retournai lentement, ne distinguant d'abord personne. Puis une silhouette finit par se dessiner à quelques mètres de moi, une silhouette de femme. Un instant, je pensai que s'il s'agissait d'Elizabeth, on verrait peut-être mon corps s'écraser quelques minutes plus tard sur la chaussée qui se trouvait à plusieurs dizaines de mètre en-dessous de moi, mais à mon plus grand soulagement l'ombre prit finalement les traits d'Abby. Je n'irais pas jusqu'à dire que j'étais ravie de la voir, mais elle était toutefois sans doute l'une des personnes dans cet hôpital que j'avais le moins envie de détester à ce moment précis.
   - Vous êtes là, fit-elle en s'arrêtant à ma hauteur. Tout le monde vous cherche là en-bas, ils sont super débordés.
J'avais envie de lui répondre qu'ils n'avaient qu'à se débrouiller sans moi puisque je ne semblais les intéresser que lorsqu'on avait besoin de moi, mais je me sentais juste trop fatiguée et à bout de nerfs pour me rebeller contre mes collègues.
   - J'arrive dans une minute, répondis-je dans un soupir.
Abby hocha la tête et s'apprêtait à repartir, mais au lieu de cela elle se tourna à nouveau vers moi.
   - Est-ce que tout va bien ? me demanda-t-elle.
Je ne répondis pas immédiatement, persuadée qu'elle ne me posait cette question que par pure politesse et que si je ne disais rien, elle finirait par redescendre. J'avais tord. Au contraire, face à mon silence, Abby se rapprocha lentement de moi et posa doucement sa main sur mon bras. Je me retournai vers elle, surprise, et elle m'adressa un léger sourire dans lequel transparaissait quelque chose ressemblant à une sorte de bienveillance, ce que je n'avais jusque là encore jamais vu sur son visage, surtout pas à mon égard. On ne pouvait pas dire que Abby et moi étions vraiment ennemies, mais nous n'avions certainement jamais été de grandes amies non plus, même si depuis quelques temps nous nous entendions tout de même largement mieux que juste après mon retour. Je savais qu'elle avait été très jalouse de ma "relation" avec Carter, et je n'avais sans doute jamais fait quoi que ce soit pour améliorer nos rapports. Je poussai un profond soupir, dirigeant à nouveau mon regard vers les étoiles.
   - Non, ça ne va pas, répondis-je finalement
Je me demandai aussitôt pourquoi diable j'avais dit cela, moi qui avais l'habitude de toujours prétendre que tout allait pour le mieux même quand c'était loin d'être le cas. Mais d'un autre côté, le simple fait de reconnaître à voix haute que je me sentais vraiment mal me fit du bien, peu importait que je l'ait dit à Abby ou à n'importe qui d'autre.
   - Si vous avez envie d'en parler à quelqu'un… Je sais que nous ne sommes pas spécialement proches, mais je veux que vous sachiez que je suis là…
   - C'est gentil…
   - C'est naturel.
Je laissai le silence s'installer entre nous, cherchant à comprendre ce qu'il lui prenait, pour quelle raison elle se montrait soudain si gentille à mon égard. Je n'avais toutefois pas réellement envie de réfléchir, et je devais admettre que ces quelques phrases que nous avions échangées m'avaient légèrement apaisée et que grâce à elle je me sentais un peu mieux que lorsque j'étais montée me réfugier ici un quart d'heure plus tôt.
   - Merci… murmurai-je, m'efforçant de lui rendre son sourire.

   Il était près de dix heures lorsque je pus enfin rentrer chez moi. Normalement, ma garde aurait dû être terminée depuis plusieurs heures, mais depuis que Mark n'était plus avec nous, les urgences étaient constamment débordées et les heures supplémentaires n'avaient rien d'exceptionnel. J'étais réellement épuisée et ne souhaitais que pouvoir enfin m'étendre, bien au chaud dans mon lit, afin de dormir quelques dizaines d'heures, mais en même temps l'idée de me retrouver seule chez moi me terrifiait, comme c'était le cas depuis des semaines. D'habitude je rentrais quand même, mais cette fois-ci, sans que je sache vraiment pourquoi, je n'en avais tout simplement pas la force. Aussi décidai-je d'aller boire quelque chose chez Doc Magoo, le petit restaurant situé vis-à-vis de l'hôpital. Comme c'était généralement le cas à cette heure, les tables étaient presque toutes vides, et j'allai directement m'installer à l'une de celles qui se trouvaient tout au fond, là où je pourrais être tranquille. Je commandai un café noir qu'un jeune serveur que je n'avais jamais vu auparavant m'apporta presque aussitôt, puis je restai assise là, la tête appuyée contre la vitre froide de la fenêtre, les yeux fixés sur un point invisible se trouvant au-delà du monde perceptible, laissant le contenu de ma tasse lentement refroidir.

   Je ne sais combien de temps au juste s'écoula jusqu'à ce que je sente une main effleurer doucement mon épaule. Tirée malgré moi de ma rêverie silencieuse, je levai les yeux pour voir le visage d'Abby apparaître au-dessus de moi. Aussitôt, un étrange sentiment m'envahit, un sentiment que je ne saurais définir exactement. Ce dont j'étais sûre toutefois, c'était que j'étais contente de la voir, même si j'ignorais pour quelle raison.
   - Est-ce que je peux m'asseoir ? demanda-t-elle en désignant du menton la place vide en face de moi.
Je répondis d'un hochement de tête, et elle prit place, avant de commander elle aussi un café sans sucre ni crème.
   - Vous ne terminez que maintenant ? m'étonnai-je, surprise qu'elle soit encore là à cette heure, ravie en même temps de constater que je n'étais pas la seule bonne poire à accepter les heures supplémentaires à la pelle.
   - J'ai dû rester un peu plus longtemps, Chuny m'a demandé si je pouvais la décharger pendant quelques heures. Soi-disant elle devait aller voir sa grand-mère dans un home, mais en fait je la soupçonne d'avoir un nouveau petit ami.
Elle ponctua sa phrase d'une petite grimace, et je ne put m'empêcher de sourire à l'expression de son visage.
   - Et vous, reprit-elle tout en portant sa tasse fumante à ses lèvres, je vous ai vue quitter l'hôpital il y a une bonne heure de cela, comment se fait-il que vous ne soyez pas encore rentrée ?
   - Je ne sais pas exactement, soupirai-je. Je crois que l'idée de me retrouver seule chez moi avec mon chat et entourée des cartons que je n'ai toujours pas pris le temps de déballer depuis six mois ne m'excitait pas vraiment…
   - Si vous ne vous sentez pas le cœur de rester toute seule, vous pouvez toujours passer la nuit chez moi, il y a largement assez de place…
Je levai les yeux vers elle, passablement surprise par sa proposition, et faillit lui demander pour quelle raison elle faisait cela pour moi, mais la réponse me vint sans que j'aie besoin de le faire. Quelques mois plutôt, lorsqu'elle s'était faite agressée par l'un de ses voisins, je lui avait ouvert ma porte lorsqu'elle ne savait pas où passer la nuit. C'était d'ailleurs depuis ce moment-là que nous avions plus ou moins enterrer la hache de guerre - même si je doute toujours que ma rupture avec Carter n'y ait pas également été pour quelque chose - et je pensai qu'elle voulait juste me rendre la pareille. Sauf que j'avais un endroit où dormir et qu'il était hors de question que j'accepte son invitation.
   - C'est gentil, mais je crois que ça ira.
   - Comme vous voulez, fit-elle avec un haussement d'épaules. Mais je sais par expérience qu'il est parfois réconfortant d'accepter l'aide d'un ami dans les périodes difficiles.
Je savais qu'elle avait raison, c'était d'ailleurs ce que je n'avais cessé de répéter à Mark durant la période qui avait précédé son décès. Cela ne m'empêchait néanmoins pas de me sentir mal à l'aise à l'idée de m'incruster ainsi chez Abby, que je ne connaissais somme-toute que par ce que Carter m'avait dit d'elle.
   - D'accord, lâchai-je finalement, sans vraiment savoir pourquoi et prenant le risque de regretter mes paroles plus tard.
   - Bien, répondit-elle avec un sourire. Laissez-moi finir mon café et nous pourrons y aller.
Je hochai la tête, songeuse et à la fois infiniment reconnaissante à son égard pour m'éviter ainsi de réintégrer la froideur et la solitude de mon petit appartement.

   L'endroit où vivait Abby n'avait strictement rien à voir avec celui où j'habitais moi-même. Relativement spacieux, elle avait su donner à son appartement un aspect confortable et soigné, alors que j'avais toujours eu l'habitude de vivre dans un certain fouillis. Je retirai ma veste qu'elle déposa avec la sienne sur le porte-manteau, puis elle m'invita à la suivre dans le living room.
   - Est-ce que vous voulez boire quelque chose ? me proposa-t-elle tandis que je prenais place sur le canapé.
Je répondit d'une légère secousse de la tête, et elle s'assit à côté de moi.
   - Si vous souhaitez prendre une douche, la salle-de-bains est à votre disposition, je vais vous montrer où elle se trouve… à moins bien sûr que vous ne préfériez aller directement vous coucher…
   - Je crois que je vais prendre cette option, répondis-je en réprimant un bâillement. Je suis épuisée…
   - Vous en avez l'air. Je vais vous montrez la chambre d'amis…
Nous nous relevâmes toutes deux, et je la suivis dans le couloir jusqu'à la petite chambre où j'allais passer la nuit. Abby m'apporta encore un pyjama, puis, après s'être assurée que je n'avais besoin de rien d'autre, elle me souhaita une bonne nuit et quitta la pièce. Comme que je retirais mes vêtements pour revêtir le short de coton gris et le t-shirt à bretelles qu'elle m'avait prêté, j'eus soudain le sentiment d'être totalement ridicule, ne sachant toujours pas exactement ce qui m'avais poussée à accepter son invitation. Mais j'étais sans doute trop fatiguée pour continuer à me poser des questions, aussi me contentai-je de me glisser rapidement sous les draps, me retournant quelques fois avant de trouver une position confortable et de réussir finalement à m'endormir.

   Ce fut cependant dans un sommeil agité, ponctué de rêves étranges et désagréables dans lesquels plusieurs visages dont je ne distinguai pas les traits hormis ceux de Mark, de Carter et Abby se mélangeaient et tournoyaient lentement autour de moi pour tomber finalement dans un gouffre sans fond, m'entraînant avec eux dans leur chute. Je me réveillai en sursaut, les yeux remplis de larmes, tremblante et frissonnante de la tête au pieds. Sur la table de nuit à côté de moi, les chiffres lumineux du réveil qu'Abby m'avait prêté diffusaient une légère lueur rouge à travers la petite pièce éclairée uniquement par un rayon de lune qui se glissait timidement à travers les stores partiellement tirés. Il n'était pas encore trois heures du matin. Je me rassis dans mon lit et me repliai sur moi-même, ramenant mes jambes contre ma poitrine secouée de sanglots, laissant les larmes couler longuement le long de mes joues. J'ignorais même pourquoi je pleurais, et j'étais totalement incapable de reprendre le contrôle de moi-même. Je restai ainsi plusieurs minutes, j'ignore combien au juste. J'étais toujours dans cette position, inondant mes genoux de pleurs, lorsque j'entendis le bruit léger de pas qui effleuraient la moquette du couloir, avant que des coups légers soient frappés à la porte de la chambre. Sans doute avais-je du faire du bruit et je m'en voulu instantanément d'avoir réveillé Abby. Je ne répondis rien, mais quelques secondes plus tard la porte tourna lentement sur ses gonds, le visage d'Abby apparaissant dans l'entrebâillement.
   - Susan ? demanda-t-elle dans un murmure, attendant que je l'invite à entrer.
Je tournais lentement la tête vers elle, m'efforçant d'essuyer mes larmes au passage, ce qui ne servit pas à grand chose. Interprétant ce geste comme une invitation, elle poussa doucement la porte et vint s'asseoir face à moi sur le bord du lit. Je baissai à nouveau les yeux, ne sachant si je devais me sentir honteuse de m'être mise dans un état pareil ou rassurée de ne pas être seule et d'avoir quelqu'un pour me réconforter. D'un geste doux et délicat, elle glissa une main sur mon front, écartant quelques mèches de cheveux qui étaient tombées devant mes yeux.
   - C'est tellement injuste, murmurai-je, sentant les larmes gonfler mes paupières de plus belle. Jamais je n'avais eu un ami comme lui, pourquoi a-t-il fallu qu'il s'en aille ? Chaque jour nous nous efforçons de sauver les vies de personnes que nous ne connaissons strictement pas, mais au final nous sommes incapables de garder auprès de nous ceux qui nous sont chers ! Pourquoi ? Pourquoi…

   Abby me prit alors par les épaules, m'attirant doucement contre elle. D'abord surprise par ce geste communément familier, j'appuyai finalement mon visage dans le creux de sa nuque, laissant à nouveau libre court à mes larmes.
   - Chut, murmurait-elle tout en passant lentement une main dans mon dos pour tenter de m'apaiser. Tout ira mieux maintenant, tu verras, tout ira mieux…"
Ce fut à ce moment-là que le déclic se produisit. Je ne saurais dire quelle en fut la cause exacte, peut-être le son de sa voix, douce et rassurante comme une berceuse que fredonnerait une mère à son enfant; peut-être la sensation délicate de ses doigts qui courraient le long de mon échine; peut-être le parfum de ses cheveux et de sa peau contre mon visage… peut-être autre chose… Tout ce dont j'étais sûre, c'est que quelque chose était en train de se passer, de changer en moi. Une impression douce et étrange de bien-être total qui m'envahissait, ainsi que le sentiment que je n'aurais voulu partager cet instant avec personne d'autre que Abby. Lentement, les larmes cessèrent de couler sur mes joues, mes sanglots se calmèrent, et le silence retomba, nous enveloppant toutes les deux. Tout ce que j'entendais à présent était le bruit régulier de sa respiration, semblable à celui que produisent les vagues lorsqu'elles viennent puis se retirent calmement sur la plage. Sa main avait quitté mon dos et glissait à présent lentement le long de mon bras nu, de l'épaule au poignet, puis dans l'autre sens. J'enfouis davantage mon visage contre elle, respirant le parfum sucré de sa peau. Elle sentait tellement bon…

   Je crois qu'aucune de nous n'avait rien prévu des événements qui suivirent, ils arrivèrent comme ça, étrange enchaînement d'actions qui se succédèrent les unes aux autres sans que nous en ayons vraiment le contrôle. Nous étions toutes les deux seules depuis trop longtemps, nous avions toutes les deux trop le besoin de se sentir aimée, désirée. Je n'irais pas jusqu'à dire que j'aie jamais aimé Abby davantage que comme une amie, mais je ne nierai pas non plus qu'à ce moment précis, j'avais réellement envie d'elle. Jamais jusque là je n'avais ressentit quelque chose de semblable pour une autre femme, et je ne l'ai plus jamais ressentit par la suite.

   Plusieurs secondes s'écoulèrent ainsi, puis je fis un léger mouvement en arrière, me dégageant de son étreinte, plongeant mes yeux dans les siens, cherchant à savoir si j'étais la seule à éprouver cela, ou bien si elle le ressentait, elle-aussi. Ce fut finalement elle qui fit le premier pas. Sa main qui se trouvait jusque là posée à la base de ma nuque, maintenant ma tête contre elle, glissa doucement sur ma joue, en essuyant les dernières larmes qui y stagnaient encore. Ses doigts traçaient le contour de mon visage, s'arrêtèrent un instant sur mes lèvres. Je fermai les yeux, sentant son souffle tiède caresser ma peau alors qu'elle s'approchait toujours davantage. Elle prit mon visage entre ses deux mains, et un long frisson me parcourut lorsque nos lèvres se rencontrèrent finalement. Ce baiser n'était pas n'importe quel baiser, mais sans doute l'un des plus doux et tendres que j'avais jamais partagé. Il n'avait rien de commun avec ce que j'avais connu jusque là, et je n'aurais jamais pensé qu'un simple baiser puisse me procurer les sensations qui me traversaient en cet instant précis.

   Au bout d'un moment que j'aurais aimé ne voir jamais s'arrêter, nos lèvres se séparèrent lentement, comme à regret.
   - Susan… souffla-t-elle, son visage encore si près du mien que je pouvais toujours sentir sa respiration sur mon visage.
Je posai doucement un doigt sur ses lèvres, la forçant à se taire, puis m'approchai à nouveau d'elle, déposant un baiser au coin de sa bouche, sur sa joue, à la base de son oreille. Elle soupira, puis laissa ses mains glisser lentement jusqu'à ma taille, avant de remonter le long de mon buste, me débarrassant de mon t-shirt. Il ne nous fallut que quelques secondes pour ôter le reste de nos "vêtements", comme s'ils avaient soudainement pris feu et qu'il était devenu impératif que nous les retirions au plus vite. Le plus surprenant était que notre nudité n'avait rien de gênant, au contraire il me semblait soudain qu'il n'y avait rien de plus naturel au monde. Elle me poussa légèrement en arrière et je retombai sur les couvertures tièdes alors qu'elle s'entendit à côté de moi. Nous demeurâmes silencieuses pendant de longues minutes, chacune observant timidement les réactions de l'autre. Un rayon de lune se glissait à travers les stores, frôlant délicatement son épaule nue avant d'éclairer l'espace vide entre nous. Alors que dans la semi-obscurité qui nous enveloppait nos yeux étaient incapables de se détacher de l'autre, nos mains s'effleurèrent et nos doigts s'entremêlèrent, avec douceur et sensualité. Nous nous rapprochâmes lentement l'une de l'autre, jusqu'à ce que nos corps se touchent, puis nos lèvres se rencontrèrent à nouveau, nous unissant dans un autre baiser, plus profond et intense encore que le précédent.

   Nous nous séparâmes quelques secondes plus tard, le souffle coupé, et je laissai mes lèvres glisser lentement dans sa nuque, sur ses épaules, goûtant à sa peau douce comme à un fruit défendu. Elle avait un parfum sucré, un parfum de vanille. Elle poussa un profond soupir, puis prit mon visage entre ses mains, plongeant un court instant ses yeux dans les miens. Elle me renversa alors doucement sur le dos et s'étendit au-dessus de moi, laissant sa main courir le long de mon corps dénudé, jusqu'à en infiltrer les parties les plus secrètes, se glissant lentement à l'intérieur de moi. Un gémissement s'échappa de mes lèvres entrouvertes lorsque je sentis sa bouche faire le même chemin. Les vagues de plaisir que créait chacun de ses baisers, chacune de ses caresses, se diffusaient dans tout mon être, décuplant mes sens et enveloppant mon cerveau. Ce qu'elle fit naître en moi est impossible à décrire avec des mots, impossible à expliquer. Il y avait quelque chose de beaucoup plus de profond que ce j'avais jusque là pu connaître avec un homme, quelque chose de totalement inconnu, et d'étrangement familier en même temps. Peut-être avais-je aimé une femme dans une vie antérieure… Peut-être cette femme était-elle Abby… Cela dépassait totalement la sphère restreinte de notre sensibilité humaine, j'avais l'impression de quitter mon corps comme un vêtement devenu trop étroit, de m'en libérer en quelque sorte pour atteindre un niveau supérieur où mes sens pouvaient percevoir tout ce qui leur avait jusque là été dissimulé. Les caresses d'Abby se faisaient toujours plus profondes, jusqu'à ce je sente l'orgasme naître entre mes reins avant de me submerger, s'abattant sur moi comme un ras de marée, avec une violence et une force vertigineuse.

   Mon corps en sueur retomba doucement sur les couvertures humides. C'était terminé. Abby reprit sa place à mes côtés, et je tournai légèrement la tête, rencontrant une nouvelle fois son regard. C'était son tour, à présent, et tout ce que je désirais était de lui faire ressentir exactement ce à quoi je venais moi-même de goûter. Ce qu'il s'est passé ensuite, je ne me le rappelle plus exactement. Je flottais sur une sorte de nuage, encore incapable de redescendre complètement sur terre. Tout ce dont je me souviens est son parfum, le goût de sa chair et son contact inhabituel, à la fois étrange et délicieusement enivrant sur ma langue. Je me souviens avoir entendu ses gémissements, ainsi que mon prénom échappé de sa gorge dans un cri rauque lorsque le plaisir eut atteint son paroxysme. Puis tout son corps se relâcha d'un seul coup, tout comme le mien quelques minutes plus tôt. Je m'allongeai à nouveau à côté d'elle, et tandis qu'elle reprenait lentement son souffle, elle m'attira doucement contre elle. Nous restâmes longtemps ainsi enlacées, sans prononcer le moindre mot, sans faire le moindre geste, écoutant simplement nos respirations qui ralentissaient peu à peu au fur et à mesure que les battements de nos cœurs reprenaient leur rythme normal.
   - Abby… murmurai-je finalement au bout de plusieurs minutes. Merci…
En guise de réponse, elle passa une main sur mon visage, puis nos lèvres s'unirent une nouvelle fois, comme pour celer l'amour que nous avions partagé le temps de cette nuit unique et inoubliable.

   Ce baiser fut toutefois le dernier que nous échangeâmes. Ni Abby ni moi n'avons réitéré cette expérience par la suite, que ce soit ensemble ou avec une autre, du moins en ce qui me concerne. Sans doute que pour conserver toute la magie qu'elle avait revêtue, cette nuit se devait de rester unique. Et lorsque je dis que tout à changer pour moi par la suite, ce n'est de loin pas une exagération. Rien n'était plus pareil, les formes, les couleurs, tout semblait empreint d'une beauté que je n'avais jamais perçue auparavant, comme si cette nuit avec Abby m'avait enfin ouvert les yeux sur le monde qui m'entourait. Il naquit entre nous une profonde amitié, qui est toujours restée intacte. Ce fut elle qui, peu de temps après, parvint à me convaincre de laisser tomber mes craintes et de retenter ma chance avec Carter. Ce conseil fut sans doute l'un des meilleurs que l'on m'ait jamais donné. Un peu moins d'une année plus tard, le jour de notre mariage, ce fut bien évidemment elle que je choisis comme demoiselle d'honneur, alors que John avait demandé à Dave d'être son témoin. Abby m'avoua plus tard, alors qu'ils étaient eux-même mariés et qu'elle attendait leur premier enfant, que c'est à cette occasion qu'ils sont sortis ensemble pour la première fois.

   Aujourd'hui, je me considère sans doute comme l'une des personnes les plus heureuses et les plus chanceuses du monde. J'ai un mari que j'aime profondément, deux enfants adorables, et surtout une amie unique, comme on ne peut en avoir qu'une seule dans toute une vie. Nous n'avons jamais reparlé de cette nuit, ce qui ne veut pas dire je l'aie oubliée. J'y repense encore avec un sourire de temps à autre, et je me rappelle également l'histoire de ma grand-mère. J'ai fini par réaliser qu'il ne s'agissait pas seulement d'un conte qu'une vieille dame raconte à sa petite fille pour la rassurer, j'ai compris à quel point tout ce qu'elle m'avais dit était véridique. Car cette nuit-là, dans les bras d'Abby, c'est la paix que j'ai trouvée, ainsi que la force de me relever, d'aller de l'avant, de reprendre ma vie en main. Parce que cette nuit-là Abby fut mon ange, et que son chant restera à jamais gravé dans ma mémoire. 

FIN



Amyra, mars 2002