Le Cadeau


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Auteur:   Aline

Date de création:   Décembre 2001

Droits divers
:   La même chose que d'habitude, les personnages d'Urgences ne sont pas à moi, ils ont été créés par le grand maître Michael Crichton, ils lui appartiennent ainsi qu'à plein d'autres gens que je ne connais pas.

Rating :   G (pour tous)

Personnages
:   JC/SL

Spoilers :   Saison 8, jusqu'à l'épisode 8.08

Note de l'auteur
:   L'histoire se passe le 24 décembre 2001, Susan est revenue depuis trois mois environ et elle et Carter sont devenus très proches. Cependant, l'épisode "Quo Vadis ?" n'a jamais eu lieu, ainsi que rien de ce qui pourrait se passer dans les futurs épisodes (donc pour ceux qui auraient déjà vu les épisodes, on efface la mémoire ;O).

Je dédicace cette fic à tous les fans de Carter et Susan, tout particulièrement à Sarah et Audrey ! Et joyeux Noël ;O))

***

Noël. Jour d'amour et de paix. Jour où chaque problème semble soudainement moins important pour autant qu'on parvienne à se glisser dans cette ambiance spéciale qui baigne ces jours de fête. Jour que l'on passe, en général, avec sa famille ou avec ses amis, des gens de toute façon qui nous sont chers. Lorsque j'étais enfant, je me rappelle que Chloe et moi pouvions rester éveillées jusque longtemps après minuit dans l'espoir de voir enfin le Père Noël. Nous nous serrions toutes les deux sous une épaisse couverture de laine qui nous avait été offerte par notre grand-mère, munies d'une lampe de poche et d'une importante provision de bonbons, attendant patiemment de voir tomber un peu de suie dans le conduit de la cheminée, preuve incontestable de l'arrivée imminente dans notre salon de l'homme à la longue barbe et à la robe rouge. Mais à notre grand désespoir, le sommeil nous trouvait toujours le premier, et lorsque nous nous réveillions c'était pour découvrir qu'il était déjà passé. J'avais huit ans quand j'ai compris que c'était papa qui déposait les paquets sous l'arbre, et cela fut de loin l'une des plus grandes déceptions de ma vie.


J'ai passé les cinq derniers Noëls sous le soleil et la chaleur de l'Arizona. La chose la plus désagréable à propos de l'Arizona est en fait justement ce qui me paraissait tellement merveilleux avant que je ne m'y installe : le soleil qui y règne les trois-quarts de l'année. Pour y passer ses vacances, c'est le paradis. Pour y vivre, c'est l'enfer. J'aime ces matins d'hiver où l'on sait qu'il a neigé toute la nuit avant même d'avoir ouvert sa fenêtre à cause de cette étrange luminosité créée par la réverbération de l'éclairage publique sur la couche de poudre blanche fraîchement tombée. J'aime sentir la douce chaleur du café se diffuser en moi pour me réchauffer lorsqu'un pull supplémentaire ne suffit plus. J'aime le silence et le calme des soirs de décembre qui touche même une ville comme Chicago à l'heure où la lumière du jour disparaît lentement et où, durant quelques instants, le monde semble ralentir. Et aussi un million d'autres petites choses qui paraissent tellement insignifiantes mais qui m'ont toujours fait regretter les hivers de ma ville natale.


Une rafale de vent fait glisser le capuchon de ma veste juste avant que je n'entre dans le hall des urgences, emportant quelques flocons de neige qui se déposent avec légèreté sur mes cheveux. Derrière moi retentit la sirène d'une ambulance, et je m'écarte lorsque les brancardiers pénètrent dans l'hôpital en poussant une civière sur laquelle est étendu un petit garçon qui ne doit pas avoir plus de quatre ou cinq ans. Noël, jour d'amour et de paix. Jour durant lequel, malgré tout, des enfants continuent de souffrir et de mourir.


La salle de repos est déserte lorsque je pousse la porte, et le silence qui y règne offre un étrange contraste avec l'agitation du dehors. Je me dirige lentement vers mon casier, pas besoin de me presser, je suis presque une demi-heure en avance. J'enfile ma blouse blanche sur laquelle est brodé mon nom, passe mon stéthoscope autour de ma nuque, et en quelques secondes je ne suis plus juste Susan Lewis, mais le Dr Susan Lewis. Je referme rapidement mon casier puis quitte le calme de la salle de repos pour me plonger dans le bouillonnement continuel des urgences. Je réponds aux salutations de Randi tout en m'approchant du bureau des admissions où se trouvent certains de mes collègues. Au passage, je surprends des bribes de conversation entre Lydia, Conni et Chuny, j'entends Kerry faire part de son mécontentement à Mark à propos de problèmes administratifs et Benton réprimander un pauvre externe terrorisé. Malgré touts les changements qui ont pu avoir lieu au sein du service en l'espace de cinq ans, il y a des choses qui resteront toujours les mêmes. La tête un peu dans les nuages, je jette un œil au tableau pour voir qui d'autre est de service aujourd'hui, et tandis que je me dirige vers le coin du bureau où son disposés les dossiers des patients attendant d'être examinés, je heurte quelqu'un qui arrive en sens inverse.

"Eh, doucement !" dit une voix familière en face de moi.

Je lève les yeux et rencontre le regard de Carter. Et malgré moi, je lui souris.

"Désolée, je crois que je ne regardais pas où j'allais."

"Oui je vois ça !"

Il éclate de rire. J'aime le son de son rire, il a quelque chose de spécial, je serais bien incapable de définir quoi. Il n'empêche qu'à chaque fois que Carter rit, j'ai envie de l'imiter.

"Est-ce que tu as quelque chose de prévu ce soir ?" me demande-t-il alors.

J'ai un peu honte d'avouer que non, il n'y a sans doute rien de plus triste et pathétique que de passer Noël seul.

"Bien, dans ce cas je me disais…" J'attends la suite de ce qu'il va dire, littéralement suspendue à ses lèvres, comme lorsque Chloe me faisait la lecture quand nous étions petites et que je voulais absolument connaître la suite de l'histoire. Je crois qu'inconsciemment, je meurs d'envie qu'il ne m'invite à passer le réveillon avec lui. "… peut-être accepterais-tu de passer la soirée chez moi, avec ma famille."

Avec sa famille… J'envisagerais certainement cela avec joie si sa grand-mère n'avait pas d'avance une mauvaise opinion de moi. D'après ce que m'a dit John, elle n'a pas vraiment apprécié que je lui aie apporté des lis durant son hospitalisation. Mais comment aurais-je pu deviner que les lis sont des fleurs communément utilisées lors d'enterrements ?

"Oh, et si tu te fais du souci à propos de Grand-mère…" John aurait-il la capacité de lire dans mes pensées à présent ? "… ça ne posera pas de problème, c'est elle qui m'a dit d'inviter une amie, par exemple cette jeune femme blonde qui travaille avec moi. Or, je ne vois pas d'autre 'jeune femme blonde' par ici."

"Lydia est blonde."

"Très amusant. Est-ce que tu viens alors ? Ca me ferait vraiment plaisir…"

Carter a pris ma main dans la sienne et joue avec mes doigts. Cela me procure une étrange sensation, et sans vraiment le vouloir, je ne peux pas m'empêcher de repenser à ce que Mark m'a dit il y a quelques semaines. Il pensait que Carter et moi sortions ensemble, ce qui est bien entendu totalement faux, nous sommes juste des amis. Oui mais voilà, le problème est que parfois je n'en suis plus très sûre, comme en ce moment précis. En jetant un coup d'œil autour de moi, je surprends le regard de Lydia juste à côté. Je retire alors vivement ma main de celle de Carter, un peu trop vivement peut-être.

"C'est vraiment gentil de ta part de m'inviter…" Alors que je m'apprête à refuser, quelque chose en moi me dit que j'aurais tord. Est-ce que j'ai vraiment envie de passer Noël toute seule à me morfondre chez moi ? Et puis ce n'est pas n'importe qui, c'est Carter… "… j'accepte volontiers." Ma voix a parlé sans que je le lui commande, et déjà je me demande si c'est vraiment cela que je devais répondre.

"Super !" Un nouveau sourire illumine le visage de Carter, et je ne regrette plus du tout d'avoir accepté son invitation. "J'imagine que tu termines à 18 heures." Je hoche la tête. "Bien, dans ce cas si je passe te chercher vers 20 heures ça irait ?"

"Oui, ce serait parfait."

"Parfait…"

Pendant un instant je me sens comme hypnotisée par ses yeux, je ne peux détacher mon regard du sien. Mais qu'est-ce qui m'arrive ? Des tas de choses absurdes traversent mon esprit, durant une seconde j'aimerais qu'il n'y ait plus personne autour de nous, j'aimerais qu'il se penche sur moi et qu'il m'embrasse. Mais pourquoi diable est-ce que je souhaite être embrassée par Carter ??? Pourtant ce n'est pas la première fois que j'y songe, même si j'ai affirmé à Mark qu'il n'y avait strictement rien entre nous, je me demande si j'en étais vraiment convaincue…

"Carter, Lewis, vous n'avez rien d'autre à faire ? Il y a des tas de patients qui attendent, allez, bougez-vous !"

La voix stridente de Kerry nous ramène tous les deux à la réalité. Je me détourne brusquement de Carter, me sentant soudain affreusement mal à l'aise, et m'empare d'un dossier au hasard. Un homme de 56 ans avec des douleurs gastriques, c'est bien ma chance. Mais le regard suspicieux de Kerry est toujours posé sur moi et je n'ose pas le reposer pour en prendre un autre. Avec un profond soupir, je me dirige alors vers le rideau 3 où est installé mon malade.


"C'est vous le docteur ?" me demande-t-il après que j'ai annoncé mon nom.

"Oui, il paraît."

"Je veux un vrai docteur !"

C'est pas vrai, ça va pas recommencer ! Moi qui croyais qu'on était au XXIème siècle ! J'en ai plus qu'assez de ces patients qui ne peuvent pas envisager que je sois un 'vrai' médecin juste parce que je suis une femme !

"Ecoutez Mr…" Je jette un œil à son dossier dans le but d'y trouver son nom. "… Myers, je pourrais aller chercher un de mes collègues mais dans ce cas il vous faudrait attendre encore quelque chose comme une heure, car pour l'instant ils sont tous occupés ailleurs. Alors si vous souhaitez être soulagé, il faudra que vous vous contentiez de moi."

Le patient émet une espèce de grognement et c'est de mauvais cœur qu'il me laisse l'examiner, mais finalement il est certainement content de s'entendre dire que ses douleurs ne sont dues qu'à une mauvaise digestion d'un aliment qu'il a dû avaler le soir précédent, et qu'avec des pastilles pour l'estomac il se sentira très rapidement mieux. Je l'entends même bougonner quelque chose qui ressemble à un "Merci docteur" lorsque je tire le rideau pour le laisser se rhabiller et que je m'éloigne en direction du bureau d'admission.

"Dr Lewis, est-ce qu'on compte sur vous pour la petite fête de Noël de l'hôpital ce soir ?" me demande Randi lorsque je repose le dossier de Mr Myers.

Je n'ai pas le temps de répondre, car Lydia le fait à ma place, tout en m'adressant un sourire malicieux. "Je crois que Susan a d'autres projets pour ce soir, je me trompe ?"

Je baisse instinctivement les yeux, sentant mon teint s'empourprer, gênée que Lydia ait surpris la conversation que j'ai eue il y a quelques minutes avec John.

"Carter l'a invitée à passer Noël avec sa famille" continue Lydia.

"Vraiment ?" Chuny s'est arrêtée à notre hauteur, l'air très intéressée par ce qu'il vient d'être dit. Quant-à-moi, j'aimerais pouvoir me courir me cacher quelque part.

"Toutes mes félicitations" s'exclame Randi, exactement comme si je venais de lui annoncer que John et moi étions fiancés. "Je crois que j'ai gagné."

"Seigneur, je ne sais pas ce que vous vous imaginez mais…" Je m'interromps brusquement en réalisant ce qu'elle vient de dire. "Gagné quoi ???"

"J'avais parié que vous sortiriez ensemble avant la fin de l'année" m'explique-t-elle tandis que Lydia et Chuny lui tendent toutes deux un billet de cinq dollars.

"Nous ne *sortons* pas ensemble, il m'a juste invité pour passer le réveillon." J'ai instinctivement baissé la voix pour éviter que notre petit groupe ne vienne s'agrandir, mais c'est justement le contraire qui se produit.

"Qu'est-ce qu'il se passe ?" demande Wendy en s'arrêtant entre Lydia et Chuny.

"Susan va passer le réveillon avec Carter et sa famille."

"Oh mais c'est super ! Ah oui c'est vrai…" ajoute-t-elle en voyant Randi tendre la main dans sa direction. Elle fouille dans la poche de sa blouse rose et en sort elle aussi un billet de cinq dollars qu'elle remet à Randi.

Tout cela commence sérieusement à m'agacer, et je ne peux retenir un soupir.

"Ne t'inquiète pas" me dit alors Lydia, "on avait vu ça venir depuis longtemps, je suis sûre que vous serez super ensemble !"

Le téléphone se met alors soudain à sonner, et le petit groupe autour de moi se dissipe tandis que Randi y répond. Je me retourne alors pour rencontrer le regard d'Abby qui me fixe avec une expression que je ne saurais définir mais qui n'est certainement pas de la sympathie.

"Quoi ?"

"Rien" répond-elle à voix basse.

Je profite de sa présence pour lui demander de prescrire un médicament à Mr Myers afin de soulager ses douleurs, ce qu'elle fait sans grand enthousiasme. Je ne comprends pas ce qui ne va pas avec Abby. J'ai l'impression que plus j'essaie de me montrer sympathique avec elle, plus elle est froide et distante. J'aimerais que nous puissions être amies, mais apparemment c'est loin d'être son cas. Et si j'ai fait quelque chose qui lui a déplut, j'aimerais autant savoir quoi…

***

Le reste de la journée passe avec une lenteur incroyable. Peut-être parce que ce ne sont pas vraiment les patients qui se bousculent, ou peut-être parce qu'inconsciemment je me réjouis de voir arriver enfin le soir. Je suis vraiment ravie de faire la connaissance de la famille de Carter, même si je garde une certaine appréhension à l'idée de revoir sa grand-mère.


J'ai été prise dans une bataille de boules de neige par Mark, Lydia et Chuny alors que j'étais sortie prendre l'air quelques minutes, et tous les trois s'en étant donné à cœur joie, c'est complètement trempée que j'entre à l'intérieur de la salle de repos. Il est près de 17 heures, et dehors il fait déjà nuit. Je secoue ma veste et mon écharpe couvertes de neige et les range dans mon casier en souriant. Avant que je parte, Mark, Carol, Doug et moi adorions aller jouer dans la neige comme des enfants à la moindre occasion. Tout cela me manque souvent, même si j'essaie de ne pas trop y penser. L'ambiance au sein des urgences était extrêmement différente il y a cinq ans. Mes collègues étaient avant tout mes amis, alors qu'aujourd'hui je ne les connais même pas tous correctement.


Au moment où je referme la porte de mon casier, je réalise soudain que je ne suis plus seule dans la pièce. Absorbée par mes pensées, je n'ai pas entendu la porte s'ouvrir puis se refermer. Je me retourne, et Carter m'adresse un petit sourire lorsque nos regards se croisent. Il est assis à la table au centre de la salle, et j'ignore depuis combien de temps il m'observe. Je vais m'installer en face de lui, tout en brossant la neige qui se trouve sur mes cheveux.

"Il neige ?"

"Plus pour l'instant.

"Pourquoi es-tu couverte de neige alors ?"

"Oh ! Une bataille de boules de neige."

"Je vois" répondit-il en riant.

Un silence lourd s'installe alors entre nous, je crois que nous sommes aussi gênés l'un que l'autre et qu'aucun de nous ne sait plus quoi dire. Je m'enfonce un peu dans ma chaise, et sans que je le veuille ma jambe effleure la sienne. Je la retire aussitôt, mais lorsque je relève la tête son regard est à nouveau posé sur moi. J'ai soudain la désagréable impression de ne plus pouvoir respirer, je manque d'air. Je me lève alors brusquement.

"Je… je crois que je devrais aller voir s'il n'y a pas du travail pour moi…"

"Excellente idée" répond-t-il en se levant à son tour et en me suivant hors de la pièce. En nous voyons sortir ensemble de la salle de repos, Lydia m'adresse un clin d'œil, tandis qu'Abby me jette un regard plus noir que jamais. Je commence d'ailleurs à me demander si Carter n'est pas la raison de son hostilité à mon égard… Toutefois, je n'ai pas le temps de me poser davantage de question, car au même moment on nous annonce l'arrivée imminente d'une ambulance transportant deux victimes d'accidents de la circulation.

***

Absorbée par mon travail, je ne vois pas arriver la fin de la journée. Je parviens même à terminer ma garde à l'heure prévue, ce qui est assez exceptionnel. Avant de rentrer, il faut que je pense à aller chercher des fleurs pour la grand-mère de Carter. J'ai déjà un cadeau pour John, une boîte à musique presque exactement semblable à celle qu'il m'a offerte il y a sept ans de cela et que j'ai découverte par hasard en flânant dans une brocante il y a une semaine. Il y a une fleuriste dans l'immeuble à côté de celui où j'habite, et je passe au moins une demi-heure avant de me décider à prendre une plante que la vendeuse appelle rose de Noël, et avec laquelle je suis au moins certaine de ne pas me tromper de signification. Je me dépêche ensuite de rentrer chez moi et de me glisser dans la douche. Tandis que l'eau brûlante coule lentement sur ma peau encore glacée, je ne peux m'empêcher de penser à Carter et à ce qui c'est passé tout au long de la journée. Non, non, non, tout cela est ridicule, il n'y a rien du tout entre Carter et toi, juste ton imagination.


Carter arrive une heure plus tard, alors que je viens de terminer de m'habiller. Ne sachant trop de quelle manière je devais me vêtir, j'ai opté pour une robe noire très simple et sans manche que j'ai achetée il y a une éternité, alors que je sortais encore avec Div Cvetic, et que je n'ai jamais portée depuis. Carter lui est vêtu d'un smoking qui lui va à merveille, et je ne peux m'empêcher de penser qu'il est vraiment séduisant. Je le laisse entrer une minute le temps que j'aille chercher mon sac dans lequel je glisse son cadeau.

"C'est joli chez toi !" me dit-il lorsque je le rejoins dans l'entrée où il observe, amusé, les quelques cartons que je n'ai toujours pas eu le courage de déballer.

"Ne fais pas attention à ça, je n'ai toujours pas eu le temps de tout ranger…"

"Si tu veux, un de ses jours je pourrais passer pour t'aider."

"Tu ferais ça ?"

"Si je te le propose !"

J'ai envie de me taper la tête quelque part, c'est quand même dingue les idioties que je peux dire parfois !

"On peut y aller ?"

Je hoche la tête, puis me souvenant de la plante pour sa grand-mère, je retourne en courant dans la cuisine, m'en empare puis le rejoins dans le couloir où il m'attend déjà.

"C'est pour grand-mère ?" me demande-t-il en désignant la plante du menton.

"Mmmm, tu crois que ça va lui plaire ?"

"J'espère bien, tu as tapé dans le mile cette fois-ci, c'est une de ses fleurs préférées."

***

La nuit est déjà tombée depuis longtemps, il doit être près de minuit. La soirée s'est admirablement bien déroulée, même si Mrs Carter s'est montrée un peu froide au début. Jamais je n'aurais pensé que John pouvait avoir une aussi grande famille ! Ses parents sont absents, mais sa sœur aînée est présente ainsi qu'une douzaine de ses cousins et cousines, la plupart d'entre eux accompagnés de leur conjoint et de leurs enfants. John est d'ailleurs un des seuls à ne pas être marié. A présent, la plupart des invités commencent à s'en aller, certains sont même déjà partis. Quant-à-moi, désirant prendre un peu l'air, je suis allée m'asseoir dans le jardin, sur le même banc où John et moi avons discuté il y a quelques semaines. Tout d'un coup, une question s'impose à mon esprit; ce jour-là il m'a avoué que lors de sa première année au County il y avait eu une période où il avait le béguin pour moi, avant d'ajouter en riant que c'était en train de revenir. Bien sûr, comme il a dit cela sur le ton de la plaisanterie je ne l'ai pas vraiment pris au sérieux. Et si j'avais tord ? Si Carter ne rigolait pas en disant cela ?

"Je crois que je me suis fait une fausse opinion de vous" m'a dit Mrs Carter il y a quelques instants à peine, avant que je ne sorte et tandis que nous discutions. "Vous avez l'air de quelqu'un de bien, et il est évident que vous comptez beaucoup aux yeux de mon petit-fils."

Que voulait-elle dire par là ? Tout cela n'a pas vraiment de sens en réalité, mais je ne peux pas m'empêcher d'y penser… Car au fond de moi, je sais que quelque chose se passe entre Carter et moi, je le sens, et ça me fait peur car j'ignore de quoi il s'agit. Ce que j'ignore en revanche, c'est ce que lui-même ressent, et cela me fait sans doute encore plus peur…


Soudain, je sens une main qui effleure mon épaule et je me retourne brusquement pour voir de qui il s'agit. John me sourit, un de ses sourires dont lui seul semble avoir le secret, un sourire à la fois doux et rassurant.

"Tu es bien, là, toute seule ?" me demande-t-il en s'asseyant à côté de moi, les mains enfoncées dans les poches de son manteau.

"Je réfléchis."

"Oh… et à quoi réfléchis-tu ?"

"A rien de particulier…"

Je tourne la tête et rencontre son regard posé sur moi. Je baisse aussitôt la tête, sentant la gène m'envahir. J'aimerais vraiment savoir ce qui m'arrive…

"Il fait drôlement froid ici…"

"J'avais trop chaud à l'intérieur."

Un léger silence s'installe entre nous. Je me sens comme une petite adolescente assise à côté de son premier flirt sans oser faire le premier pas. La différence est que ni John ni moi n'avons plus quinze ans et qu'en plus ce ne serait pas la première fois de ma vie que j'aurais à faire le "premier pas". Qu'est-ce qui me retient alors ? Qu'est-ce qui m'empêche de me pencher vers lui et de l'embrasser, j'en ai tellement envie. Ma conscience peut-être, je ne sais pas… Ce qui est sûr c'est que je ne peux m'arrêter de repenser encore et encore aux événements de la journée, à cette sensation étrange due au regard de Carter posé sur moi, à sa main effleurant la mienne, au pari de Randi, aux paroles de Lydia. "Je suis sûre que vous serez super ensemble." Et si elle avait raison ? Est-ce que John et moi formerions un beau couple, si nous étions ensemble ? Pourquoi pas, après tout. A cet instant, je ferme les yeux, comme pour chasser ce genre d'idée de mon esprit. Non, non et non. Rappelle-toi, Susan, me dit une voix dans ma tête. Il s'agit de Carter, CARTER, le jeune étudiant timide qui avait le béguin pour toi. Il ne peux rien se passer entre vous. J'aimerais pouvoir croire cette voix et lui donner raison, mais je sais qu'elle a tord. Carter n'est justement plus celui qu'elle me décrit, celui qui il y a cinq ans avait encore tout de l'adolescent. A présent, Carter est un homme, et moi je ne suis qu'une femme. J'ai la désagréable impression de ne pas être en mesure de lutter contre ce qui nous arrive, comme si quoi que je fasse l'issue sera de toute façon la même…

"Regarde, une étoile filante" murmure-t-il soudain en pointant un doigt vers le ciel.

Je lève les yeux à mon tour mais n'ai le temps que de voir un trait de lumière s'effacer dans l'obscurité du ciel.

"On dit qu'il faut faire un vœu quand on voit une étoile filante…"

"J'en ai fait un" répondit-il.

"Et lequel ?"

"Si je te le dis, il ne pourra pas se réaliser."

"C'est vrai, j'avais oublié…"

A nouveau le silence. Je jette un œil rapide à ma montre pour constater qu'il est passé minuit, et que je dois être à l'hôpital dans moins de cinq heures.

"Je crois que je devrais y aller…"

"Bien sûr, il commence à être tard. Allons dire bonsoir à ceux qui sont encore là, et ensuite je te ramènerai."

"Tu n'es pas obligé…"

"Et tu espère peut-être que je vais te laisser rentrer à pieds ? Tu n'as pas de voiture !"

"C'est vrai, tu as raison. Merci beaucoup…"

***

Nous arrivons chez moi une demi-heure plus tard. John insiste pour monter avec moi, et j'accepte même si je sais que ce n'est pas raisonnable. Une fois en haut, j'ai peur de ne plus pouvoir le laisser partir, et c'est en effet ce qui se produit. Nous restons sur le pas de ma porte comme deux imbéciles sans savoir quoi nous dire, trop mal à l'aise sans doute pour pouvoir parler. En tout cas c'est le cas pour moi.

"Oh" s'exclame-t-il soudain. "J'y pense, j'ai complètement oublié de te remercier pour ton cadeau."

"Alors il t'a plu ?"

"Beaucoup, j'ai trouvé ça adorable de ta part… D'ailleurs j'ai aussi quelque chose pour toi, je préférais attendre qu'on soit tous les deux pour te le donner…"

Il sort alors un petit paquet de la poche de son manteau et me le tend. Je retire soigneusement le papier bleu et la ficelle argentée pour découvrir, dans une petite boite en carton, un angelot à la peau rose, vêtu d'une robe blanche couverte de paillettes et muni d'une flûte dorée.

"John, c'est magnifique !"

"Je me suis dit que ça pourrait être joli sur ton sapin de Noël."

"Merci beaucoup…"

Je m'approche alors machinalement de lui pour l'embrasser sur la joue, mais au moment où mes lèvres entrent en contact avec sa peau, quelque chose se produit en moi, un long frisson qui me parcourt tout le corps comme une décharge électrique. Je m'écarte lentement, et lorsqu'il baisse le regard vers moi, je sais que ce que j'ai ressenti, il l'a ressenti aussi. Cette situation ramène à ma mémoire le souvenir furtif d'un autre soir de Noël, il y a sept ans de cela. Tout ce que je peux voir, ce sont les yeux de Carter posés sur moi, Carter tellement doux, tellement gentil. Tellement parfait. J'aimerais ne plus penser à lui, faire le vide dans ma tête et lui dire que ce n'est pas possible, mais j'en suis arrivée à un stade où j'en suis tout simplement incapable. Je peux sentir la caresse de son souffle sur ma joue. Nos visages ne sont plus séparés que par quelques centimètres, toutefois il est toujours temps de faire marche arrière. Mais en ai-je réellement envie ? Non, définitivement non. Son visage qui se rapproche toujours plus du mien m'obsède. Je ferme les yeux, puis il y a cette sensation indéfinissable, celle que cause la pression douce et tiède de ses lèvres sur les miennes. Autour de nous, le temps semble s'être arrêté, comme pour que cet instant dure à l'infini. Le premier baiser est doux et chaste, presque timide. John s'écarte de quelques centimètres, il me regarde et me sourit. Dieu que j'aime ce sourire… Je l'entends murmurer mon nom tandis que son visage s'approche à nouveau du mien. Cette fois-ci, il m'embrasse plus tendrement, et un million de sensations nouvelles traversent mon corps et ma tête. Une voix me dit que nous ne devrions pas, que ce n'est pas raisonnable, mais je la fais taire, de toute façon je ne l'écoute pas. Les lèvres de John ont un goût sucré, son bras qui effleure ma hanche semble vouloir me retenir. J'ignore combien de temps s'est écoulé lorsque nos deux corps se séparent à nouveau. Quelques secondes, plusieurs heures, j'ai perdu la notion du temps. Il sourit à nouveau et je crois que moi aussi, j'aimerais que cet instant ne s'arrête jamais.

"Tu sais, le vœu que j'ai fait en voyant cette étoile filante…" murmura-t-il à mon oreille après quelques instants. "J'ai souhaité exactement ce qu'il vient de se passer… sauf que même dans mes rêves cet instant n'était jamais aussi beau…"

Dans les miens non plus. Sans le savoir, John m'a aujourd'hui offert le plus beau cadeau de Noël que j'ai reçu depuis longtemps.

"Joyeux Noël, John."

"Joyeux Noël" répond-il doucement, me souriant une dernière fois avant que je ne referme la porte de mon appartement derrière moi.



Fin